[fèr le repa de lan] (loc. verb. HI HAN.)
L‘âne est un herbivore monogastrique. Ne lui en voulez pas, il est comme ça et il mastique longuement avant d’ingurgiter. L’âne a son temps, tout son temps qu’il passe très largement à brouter. L’âne boit aussi; de l’eau évidemment.
Alors pourquoi diable le langage suranné est-il allé chercher faire le repas de l’âne pour décrire un repas passé sans boire ?
Certes, on ne saurait faire boire un âne s’il n’a soif, comme le proclame sentencieusement le proverbe, mais s’il a soif l’âne boira. Il faudrait d’ailleurs en être un sacrément bâté (d’âne), pour ne pas boire si l’on a soif.
Un rapport avec la digestion que la sagesse populaire prétend plus facile si l’on ne boit pas pendant le repas ? Peut-être. Ou alors une façon bien lâche de régler l’éternel dilemme de l’eau de table ? Faire le repas de l’âne permettrait en effet de trancher la question du service des femmes en eau.
Car s’il est évidemment acquis qu’une femme ne se sert pas de vin elle-même¹, le fait qu’elle doive remplir seule son verre à eau (le plus grand, à gauche) est moins notoire, et le gentleman bien formé aura tôt fait de passer pour un butor s’il laisse sa voisine de droite faire le repas de l’âne. La pépie pouvant indisposer, celui qui se souvient qu’on ne sert pas une femme en eau verra son charme éventuel y tomber (à l’eau s’entend) puisqu’il n’est de pire têtue qu’une femme irritée.
Dès lors, on peut considérer que faire le repas de l’âne est l’expression d’une complexe stratégie d’évitement des ténébreuses conventions du savoir-vivre à table. Ceci ne réglant pas pour autant la question de la présence bourricote.
S’il fut utilisé dès le Vᵉ millénaire dans la vallée du Nil comme animal de transport, l’âne n’y brilla pas spécifiquement par sa sobriété et se trouva donc rapidement supplanté par le chameau lui aussi bête de somme. Faire le repas de l’âne ne peut donc provenir d’une étude pragmatique de son comportement. Ne demeure donc que l’argent, comme souvent ?
Les multinationales aqueuses se partageant un marché français de l’eau de table de plus d’un milliard d’Euros, faire le repas de l’âne ne pouvait décemment demeurer dans la langue. L’utilisation de l’expression serait une catastrophe pour ces trente neuf eaux de sources et ces quatre-vingt eaux minérales assoiffées de résultats économiques juteux. Allez hop, en surannéité !