[fèr sa sòfi] (expr. fam. CHIEU.)
En 1971, 11 208 Sophie naissent en France. C’est l’apogée de ce vieux prénom déjà très largement porté dans les antiques contrées grecques et romaines.
« Les malheurs de Sophie » imaginés en 1858 par Софья Фёдоровна Ростопчина, ou Sofia Fiodorovna Rostopchina, Comtesse de Ségur, auront donc influencé près de 250 000 couples depuis le début du XXᵉ siècle dans le choix nominal de leur progéniture ce qui est très honorable.
Je confesse au passage un certain étonnement pour la créativité exacerbée moderne et la course à l’échalote dans le choix des prénoms féminins actuels, et au vu des succès d’Audimat des aventures télé-réalistes des Shanna, Adixia et je-ne-sais-quoi, je tremble pour les années à venir. Mais ceci est une autre histoire.
Si Sophie se fait rare pour les nouvelles nées (370 en 2013 seulement), elle est passée sous forme surannée à la postérité. Je ne vous parle pas des malheurs susnommés mais de faire sa Sophie. Vous la connaissez certainement surannés que vous êtes. Pas Sophie, mais faire sa Sophie.
Mais comment une expression si utile peut-elle avoir disparu m’interrogé-je en aparté ? Oui, vraiment, comment à une époque moderne où selon tous les témoignages que j’ai pu recueillir sur le terrain (bars, bistrots, troquets) démontrant scientifiquement que l’époque est à la chieuse, à la pénible, à l’emmerdeuse, comment donc faire sa Sophie a-t-elle pu s’éclipser ? Comment toutes ces Sophie (et autres prénoms) nées en 1971 et après peuvent-elles à ce point se cacher et tous leurs sentiments avec ?
Faire sa Sophie est un excès de pudibonderie, certes, mais l’expression est suffisamment subtile pour laisser poindre la grâce et la beauté qui sont enfouies sous cette timidité. Faire sa Sophie c’est se montrer distante quand elle ne rêve que de lui, faire sa Sophie c’est goûter du bout des lèvres quand ces lèvres devraient embrasser à bouche que-veux-tu, faire sa Sophie c’est minauder alors qu’elle devrait feuler. Il me souvient que celle de la Comtesse était plus polissonne que cette Sophie là et qu’elle n’avait pas toutes les qualités d’une petite fille modèle…
Peut-être la Sophie de 1971 et des années d’après a-t-elle perdu un peu de cette flamme qui la faisait se consumer, après tout elle a vieilli elle aussi. Avec l’âge elle n’est plus vraiment la petite Sophie mais elle fait sa Sophie. Elle est devenue de carton comme son homonyme qui sert de mannequin pour les essayages des frusques de la prochaine saison. Sage et rigide. Il ne lui faudrait pourtant pas grand-chose pour qu’elle cesse de faire sa Sophie, quel que soit son prénom. Je le sais bien.
Et tant qu’on ne m’appelle pas Oscar¹ je ne me résignerai pas.
2 comments for “Faire sa Sophie [fèr sa sòfi]”