[fèr û kôplimâ a laj] (loc. verb. B-M.)
Dans la lointaine Asie centrale, il y a dix mille ans, surgit de terre une plante herbacée et bulbeuse dont l’usage se répandit en quelques millénaires jusqu’à atteindre le gigot pascal de chez belle-maman : l’ail.
C’est de l’impérative règle du bien-vivre ensemble qui consistait alors à féliciter ladite belle-doche pour ses talents culinaires, qu’est née l’expression faire un compliment à l’ail qui cache sous son intitulé obséquieux une remarque acide.
Faire un compliment à l’ail est en réalité tirer un coup de semonce, faire une remontrance tout en édulcorant un peu la chose grâce à une formule vicieuse ou un ton travaillé laissant couler le fiel. L’exercice n’est pas simple car l’ail a un goût prononcé et peut même irriter celui qui le croque. Mais lorsqu’il est bien tourné, le compliment à l’ail est un délice.
Faire un compliment à l’ail possède comme vertu principale celle d’éloigner les gêneurs sans faire appel à la Grosse Bertha pour les éparpiller. On sent bien qu’elle n’en demeure pas moins sur le qui-vive, prête à tonner si le condiment ne suffisait pas à clouer le bec au fâcheux.
Depuis que Pline l’Ancien l’a noté, on sait que l’ail éloigne les serpents, mais aussi les Anglais (qui ne voient dans leurs meilleurs ennemis Français que de vulgaires mangeurs d’ail¹) et les vampires atteints de porphyrie² tel le comte Dracula de Bram Stoker. Des figures de l’angoisse auxquelles viendra donc s’adjoindre celle de la reine-mère dite « belle » pour là encore lui faire un compliment à l’ail.
Autant de bonnes raisons pour faire des compliments aux aulx et permettre à l’expression de rencontrer un public d’utilisateurs toujours plus large.
La question de l’haleine chargée à l’ail sera rédhibitoire à sa survie en période contemporaine.
Soucieux d’afficher des dents blanches et un souffle mentholé – des gages de réussite – le moderne ne peut consommer d’ail et ce faisant produire quelque compliment qui en serait garni.
Faire un compliment à l’ail devient donc désuet, incongru même. De quoi donner des ailes au comte Dracula ou à l’un de ses complices de l’épouvante qui pourraient bien resurgir de leurs ténèbres.