[fè avèk de la kòl é dé sizo] (loc. verb. COP. COL.)
Il est à se demander si le langage suranné n’avait pas tout prévu du futur, des techniques numériques, de sa propre disparition même. Et que doté d’une intuition créative sans pareil il avait posé les bases des banalités à venir.
Comment expliquer autrement qu’il ait créé fait avec de la colle et des ciseaux pour désigner toute création humaine bâclée, anticipant ainsi de plusieurs décennies le moderne copier-coller ?
Fait avec de la colle et des ciseaux est issu d’une pratique journalistique des gazettes du XIXᵉ siècle qui consiste alors à noircir de la page avec des faits divers oubliés en reprenant de vieux articles parus de-ci de-là, tout simplement en découpant aux ciseaux puis en collant pour en faire du nouveau. Ça donne du cuit et du recuit mais peu importe, ça pisse de la copie.
Le fait divers se trouvant être – déjà – particulièrement apprécié, on fait avec de la colle et des ciseaux des milliers d’histoires plus ou moins fascinantes dont les versions se mélangent au fil du temps pour créer du grand n’importe quoi et l’expression qui va avec. Le crime passionnel de Purtafabu, petit village Hongrois où une jeune femme tue son amoureux qu’elle croyait infidèle suite aux intrigues d’une jalouse (Les Faits-Divers Illustrés, n°24 du 5 avril 1906), une fillette de sept ans dévorée par des chiens dans un village près de Mâcon (Les Faits-Divers Illustrés, n°70 du 21 février 1907) donneront par exemple l’occasion à des dizaines de faits-diversiers de faire avec de la colle et des ciseaux.
Quittant le domaine de la presse écrite qui n’est pas après tout le seul dans lequel règne l’à-peu-près et le vite fait mal fait, fait avec de la colle et des ciseaux va rapidement décrire la pauvreté d’un raisonnement, le piteux d’un programme politique, la supercherie d’une œuvre artistique.
Pourtant en 1978, une émission télévisée redore spectaculairement le blason de fait avec de la colle et des ciseaux, au point d’étouffer un temps son sens d’insignifiance.
Papivole, c’est son nom, va patiemment expliquer aux enfants fascinés comment découper et assembler pour donner vie à Charlotte, Julien et Sissou (leur petit chien) et leur faire vivre mille et une aventures¹. Sans autres effets spéciaux que la vue des mains de Mila Boutan² qui tournent le papier Canson, le froissent, le déchirent et le coupent, Papivole donnera envie à une génération entière de faire avec de la colle et des ciseaux.
Quelques années plus tard, les enfants devenus grands découvrent, pantois, qu’au boulot aussi on peut faire avec de la colle et des ciseaux.
L’apparition des fonctions copier-coller (ctrl-c, ctrl-v, ou pomme-c, pomme-v) permet désormais de bricoler les platitudes d’un PowerPoint™ en moins de temps qu’il ne le fallait pour créer un chapeau à Sissou (Papivole, épisode n°11). Une aubaine pour la pensée creuse qui peut dès lors se reproduire plus vite que la vérole dans la plus noble institution religieuse qui soit (c’est une autre histoire).
Ne pouvant tolérer qu’un doute pernicieux s’installe sur la qualité de sa prose picorée à droite à gauche, le moderne ôte fait avec de la colle et des ciseaux de son langage, jetant à la corbeille du recyclage (couvercle jaune) Charlotte, Julien et leur petit chien de papier.
Dans les journaux, pas une seule ligne. Même à la rubrique faits divers.