[fé élèktrisité] (n. fém. CLOCLO)
Carabosse, Clochette, Morgane et Mélusine étaient des fées de caractère. Charmeuses et capricieuses, elles envoûtaient les hommes, vils gueux et chevaliers, sans jamais pour autant se donner totalement.
En cette Exposition universelle de 1900, c’est pourtant à une autre qu’on érige un palais merveilleux, en plein Champ-de-Mars…
« Elle est le progrès, la poésie des humbles et des riches ; elle prodigue l’illumination; elle est le grand Signal ; elle écrase, aussitôt née, l’acétylène. À l’Exposition, on la jette par les fenêtres. Les femmes sont des fleurs à ampoule. Les fleurs à ampoule sont des femmes » dira le futur académicien Paul Morand de la fée Électricité.
La fée électricité c’est le progrès
Sans que l’on puisse déterminer si c’est Volta, Edison, Tesla, ou l’un des nombreux autres bidouilleurs qui mirent les doigts dans la prise¹ qui prononça le premier fée Électricité, le nom est bien sur toutes les lèvres en ce début de millénaire qui quitte le labeur animal ou celui de la vapeur pour bientôt ne plus jurer que par le pouvoir de cette nouvelle égérie.
La fée Électricité, alternative et triphasée, court sur son réseau, se redresse et ondule en continu, et éclaire la ville qui deviendra lumière de toute son énergie.
Paris est à ses pieds, les arts la célèbrent², les poètes la chantent, les monuments s’en parent. Même l’industrie s’y met puisqu’en 1900, une voiture sur quatre fabriquée aux États-Unis est électrique !
La fée Électricité va régner en maîtresse Messaline, fascinant des hommes qui ne sauront plus rien envisager sans elle : adieu feu de cheminée à la lumière dansante, hors d’ici table éclairée aux chandelles, finie la rue avec ses becs de gaz…
La fée Électricité c’est le progrès qui éclaire, qui chauffe, qui cuit, qui transporte, qui produit, qui libère la condition humaine. On peut dire que pour elle, ça marche du feu de Dieu.
Le 11 mars 1978, la fée Électricité perd son caractère merveilleux.
En électrocutant Claude François qui bricole une ampoule dans sa douche, elle se fâche avec tout un peuple qui ne lui pardonnera jamais d’avoir fait taire celui qui aimait toujours les chansons qui parlent d’amour et d’hirondelles, de chagrin, de vent et de frisson, celui qui pensait à elle quand on lui parlait de magnolias, quand il entendait ces musiques nouvelles qui résonnent comme des bruits de combats.
La fée Électricité devient une vilaine sorcière dont il convient de se méfier : elle a tué Cloclo !