[féré lé siɡal] (loc. verb. TRAV.)
La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Quatre vers appris par cœur par tous les écoliers de France.
Une fable entomologiste fontainienne chargée de démontrer à celui qui voudrait se dissiper qu’il vaudrait mieux rectifier l’attitude sous peine de se retrouver à ferrer les cigales. De quoi tenir en respect des hordes de sacripants en culottes courtes plus occupés à tirer les couettes des blondinettes qu’à travailler leurs humanités; à un âge où l’on se destine à devenir pompier, poubelleur, Daktari ou pilote de voitures qui vont vite, pas question d’envisager de ferrer les cigales.
Ferrer les cigales est en effet une perspective professionnelle peu amène puisque derrière l’expression se cache le travail le plus inutile qui soit. Les lyristes plebejus et cicada orni n’ont nul besoin de fer aux pattes pour cymbaliser tout l’été, et le maréchal-ferrant détraqué qui s’attaquerait à cette tâche tôt ou tard la trouverait fort dépourvue, de sens. Rarement spécialité professionnelle n’aura été plus superfétatoire que celle de ferrer les cigales.
Née dans le contexte d’une organisation scientifique du travail (le taylorisme, divisant à qui mieux mieux pour rentabiliser), ferrer les cigales s’épanouira dans le langage des Boulonnais de la Régie Renault et autres lieux pratiquant le travail à la chaîne, s’assurant ce faisant un immense succès.
Trois cents ans jour pour jour après la parution du premier recueil des Fables de La Fontaine (1668), ferrer les cigales devient l’une des raisons d’une mini-révolution.
« Je ne veux pas perdre ma vie à la gagner (en ferrant les cigales) », « Les cigales avec nous ! », entend-on dans les rues qui se mettent à gronder. « Nous sommes tous des maréchal-ferrant de cigales » est refusé par l’assemblée générale populaire et démocratique de Nanterre¹, « Nous sommes tous des enragés » étant jugé plus percutant.
Une fois le boulevard Saint-Germain rangé et les contestataires rentrés de leur pèlerinage au Larzac (où il fait plutôt froid en hiver), les nouveaux puissants banniront ferrer les cigales pour la ripoliner en angliche parce que l’on vient d’entrer dans l’ère moderne : bullshit job fait une apparition discrète mais pousse sûrement son synonyme suranné dans le fossé.
La fourmi qui dirige tout désormais, plus tayloriste que jamais, n’a que faire des tournures poétiques subversives. Vous vouliez du sens au travail ? J’en suis fort aise. Eh bien dansez maintenant, vous dit-elle.
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