[filè a pròvizjô] (n.m. COOP.)
Il est dans la vie des instants rares, des retournements de situation, des bouleversements qu’on avait pas imaginés, Dieu merci. Peut-être sommes-nous à l’aube de l’un d’entre eux dans ce petit monde actuel grâce à l’interdiction désormais effective de l’utilisation des maudits sacs en plastique à provisions qui finissent toujours par nous bousiller les tortues et les plages.
Je vous dois quelques explications.
Avant l’ère moderne, quand ma maman va faire les courses à la Coop ou au marché, elle se munit toujours d’un filet à provisions. Le filet à provisions vit en groupe accroché sur une patère, dans un coin de la cuisine. Il est blanc, il a un frère marron et un autre est écru. Les uns sont de coton, les autres de synthétique mais ils sont tous utiles dans la même mesure quand il s’agit d’aller quérir les victuailles du prochain déjeuner.
Leurs mailles extensibles à la forme de losanges réguliers enserrent le gigot, capturent les carottes et les pommes, déformement le fromage, brisent la sainte baguette si on n’y prend pas garde, eh oui les amis faire ses emplettes avec un filet à provisions demande une certaine maîtrise.
Parmi les dames patronnesses qui viennent parfois prendre le thé et que je fuis comme la peste une fois mon numéro d’enfant modèle exécuté, j’ai ouï dire que certaines font au crochet leur propre filet à provision tandis que d’autres militent pour une diffusion massive de ceux réalisés par leurs petits protégés de la Grande Île (ma mère est de celles-là et je chercherai en vain bien des années plus tard à Madagascar ceux qui avaient bien pu tisser ces filets désormais surannés). Je n’ai pas pour ma part d’avis tranché sur la question.
Et pourtant j’utilise moi aussi le filet à provisions. Je le prends pour mettre mon ballon de football. C’est la classe. On dirait un vrai pro qui s’en va s’entraîner. Avec les crampons (et surtout avec les bruit des crampons sur le carrelage de l’entrée) je suis Rocheteau ou Platini. Le ballon noir et blanc dans le filet à provisions se dandine au niveau de mes pieds et je peux négligemment le botter tout en déambulant. C’est la grande classe.
Je me suis fait gronder en rentrant à la maison. Dans l’euphorie de la victoire j’ai oublié le filet à provisions sur le terrain de foot. Maman n’aime pas tellement que je perde ses filets à provisions. Je lui en offrirai un nouveau pour la Fête des Mères.
L’article L541-10-5 du Code de l’environnement qui « met fin à la mise à disposition à titre onéreux ou gratuit des sacs en matières plastiques à usage unique destinés à l’emballage de marchandises au point de vente » devrait faire quitter le suranné au filet à provisions. Ce n’est pas un mal.
On va revoir des enfants trimbalant crâneusement leur ballon. C’est la classe.