[fòrmika] (marq. dép. FORMID.)
En 1958 (période du haut suranné) une lamentable tentative de rime échoua en vague écho sonore qui à force de répétitions assénées transforma une résine mélamine en matière reine des cuisines et d’ailleurs. Afin d’attester de la véracité de ces affirmations convenons-en osées, voici en exclusivité les paroles de la publicité télévisuelle et chantée qui propagea sur une rengaine entêtante les louanges en question :🎼🎶Mon fils a des dons véritables
Pour faire une palette de sa table
Sous l’œil attendri d’mon mari
Qui dit j’vais chercher mes outils🎶Boite à outils, boite à outils🎶
Armé d’une scie d’un pot d’colle
Il découpe pose et fignole
Un beau panneau de revêtement en deux temps et trois mouvements
Mon Dieu quel bonheur, mon Dieu quel bonheur, d’avoir un mari qui bricole
Mon Dieu quel bonheur, mon Dieu quel bonheur, d’avoir un mari bricoleur🎶C’est Formica®, c’est formidable
Conquis par cette réussite🎶
Il décida d’y donner suite
Et convoqua le menuisier
Pour transformer tout le mobilierC’est Formica®, c’est formidable
🎶D’la salle de bains à la cuisine
Sans cesse on le voit qui usine
Coupant par ci collant par là
Posant partout du Formica®
Mon Dieu quel bonheur, mon Dieu quel bonheur, d’avoir des panneaux formidables
Mon Dieu quel bonheur, mon Dieu quel bonheur, d’avoir des panneaux Formica®🎶
Le Formica®, qui n’a rien à voir avec formica comme genre de fourmis de l’hémisphère nord avec ses quarante deux espèces plus ou moins urticantes, le Formica® donc, est un mélaminé thermorésistant recouvrant généralement du mobilier de cuisine, inventé au Canada par la Howard Smith Paper Company pour recycler les déchets de l’industrie du papier.
Son petit nom chimique 1,3,5-triazine-2,4,6-triamine et sa formuleC3H6N6 n’étant pas les meilleurs des atouts pour une carrière commerciale, les stratèges de la société De La Rue, fabriquant anglais de billets et de timbres et exploitant de la formule un peu partout dans le monde (et notamment à Quillan dans l’Aude), décidèrent de Formica®. Bingo !
Le succès de Formica®, dû à sa facilité d’entretien plus qu’aux recherches esthétiques déployées (encore que…), fut exceptionnel. Du comptoir de bistrot sur lequel on casse l’œuf dur à la table de cuisine de mon arrière-grand mère, toute surface plane horizontale ou verticale se dut d’être de Formica® sous peine de passer pour ringarde. Et c’était formidable puisque la dame à l’enfant prodige et au mari bricoleur nous le chantait si bien.
La maîtresse de maison¹ est gaie comme un pinson si son intérieur est proprement tenu grâce à son mobilier en Formica® et quoi de plus agréable que le bonheur d’une femme à la maison¹ ? Rien, évidemment. Alors fourguons du Formica®, et partout de préférence !
Vous l’avez deviné, la montée des idées réformistes sur l’égalité des sexes et l’aventure saugrenue pour De La Rue qui consista à se lancer dans le marbre reconstitué² eurent la peau du Formica®. La matière devint surannée alors qu’apparaissait le vulgaire plastique, facile remplaçant au goût clinquant avec ses couleurs orange et jaune qui emprunteraient elles aussi quelques années plus tard le chemin suranné (mais ceci est une autre histoire).
Seule mon arrière-grand-mère refusa de changer sa table en Formica®. Elle qui était née au XIXᵉ siècle savait que penser de la modernité qui s’acharne à changer à tout crin.