[fòrâtèm] (n. comp. ÉCOL.)
En ces temps surannés que je vais vous conter, travailler à l’école était une valeur à la mode¹ (je sais, ça fait un peu vieux con – mais je suis un Vieux Con Suranné) et l’odieux système de notation sur dix et vingt que des ministres modernes voudraient faire disparaître et passer de ce fait à la postérité, distinguait les uns et les autres sans autre volonté de permettre à tous d’être meilleurs la fois suivante (même si se taper une bulle portait un sacrée coup au moral).
En ces temps reculés, donc, certains étaient doués pour les maths, la géo, d’autres calculaient bien de tête et l’écrivaient sur leur ardoise, les uns savaient lire avant l’heure, les autres apprenaient tout par cœur.
Bien entendu aux billes le fort-en-thème était nul
Et même quand le latin et grec ne faisaient plus partie de nos humanités, le meilleur d’entre nous était dit fort-en-thème. On ne savait pas vraiment pourquoi on l’appelait ainsi, peut-être l’avait-on entendu dans la bouche d’aînés, mais son surnom était çui-ci. Il eut pourtant été facile de l’appeler le binoclard (il portait des lunettes), le chouchou (c’était souvent le chouchou de la maîtresse, on le voyait bien) mais on usait du fort-en-thème comme d’une marque de respect parce qu’il en imposait.
Bien entendu aux billes il était nul, au foot on le choisissait en dernier quand on tirait les équipes, mais il n’était pas pour autant honni. S’il le fallait on pouvait même le défendre notre fort-en-thème parce que côté bagarre il n’était pas vraiment très fort.
Le fort-en-thème était comme un copain un peu spécial, comme celui qui ne venait pas tous les jours parce qu’il était malade (j’ai mis vingt ans à comprendre pourquoi il avait perdu tous ses cheveux), comme celui qui semblait habiter à l’école tellement il avait redoublé.
Le fort-en-thème était pratique : de sa place au premier rang il nous soufflait les réponses aux questions sur la longueur des fleuves de France ou sur la table de multiplication (8×9 était une hantise). Plus d’une fois il nous a évité la privation de récré.
J’avais déjà quitté cette école qui sentait la colle Cléopâtre et le polycopié sorti à la ronéotypeuse quand fort-en-thème est devenu suranné. Il paraît qu’il s’est mué en intello et qu’il ne fait pas bon s’en voir publiquement affublé.
Sic transit gloria mundi.
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