[ɡardé le mylè] (loc. verb. ATTEN.)
La coupe de cheveux dite « mulet » qui orna notamment les crânes des joueurs de football des années surannées déjà précurseurs en matière d’ignominie capillicole¹ (le cas échéant, vous référer à votre album Panini qui croupit au grenier), n’a rien à voir avec l’expression que nous allons nous employer à définir ci-après.
Bien qu’ayant en commun l’animal né des amours d’un âne et d’une jument, rien ne les lie dans le sens. Garder le mulet ne signifie aucunement conserver des cheveux tombant largement sur la nuque et une coupe en brosse sur le haut de la tête, non.
Garder le mulet équivaut à attendre très longuement une personne qui vous a demandé de le faire. La force de l’expression sera renforcée quand on sait que généralement la personne en question vous a prévenu qu’elle en avait « juste pour cinq minutes »…
Puisque l’existence du mulet comme animal de bât est connue depuis le XVIᵉ siècle du côté du Puy et de sa fameuse route muletière, il est aisé d’en déduire que l’expression naquit quelque part en Auvergne et, peut-être, qu’elle marquait le long temps d’attente pendant la négociation avec les marchands Lyonnais à qui étaient livrées les marchandises. Puis, garder le mulet s’étendit au registre commun, le mulet devenant un animal de selle prisé des puissants, en témoigne la fameuse mule du pape. Les domestiques avaient alors pour tâche de garder le mulet pendant que leur maître vaquait à ses occupations.
Si, progrès aidant, le mulet devint carrosse puis voiture, ou papamobile, l’expression n’en perdit pas pour autant sa force : le chauffeur de Rolls-Royce Silver Shadow continua de garder le mulet pendant que Madame promenait son chien, un boudin noir nommé Byzance, ou que Madame traînait son enfance et changeait selon les circonstances². Autant dire que la locution emporta un réel succès auprès du grand public. On se mit à utiliser garder le mulet pour décrire toute attente prolongée.
Le décret du 21 août 1928 stipulant « qu’il est interdit de laisser sans motif légitime un véhicule stationner
sur la voie publique » enverra garder le mulet en surannéité. Plus question désormais d’attendre pendant des heures sous peine de contravention. Une mesure renforcée par le décret du 29 février 1960 sur le dispositif de contrôle de la durée du stationnement qui aboutira à l’implantation du désormais suranné lui aussi, parcmètre (mais ceci est une autre histoire).
Contraint par la maréchaussée, impatient par nature, le moderne n’attend plus : il « n’a pas que ça à foutre, lui » comme il dit.