[ɡòm a éfasé le surir] (surn. CRS)
Si l’expression du visage qui tend les muscles zygomatiques et découvre ce faisant la dentition – dite aussi sourire – est généralement assimilée à une expression de sympathie souhaitant entraîner la réciproque, elle n’en possède pas moins une certaine gradation allant du sourire de vendeur de voitures d’occasion ayant flairé le gogo, au sourire ironique adressé au CRS en faction devant la Sorbonne un 6 mai 68¹.
C’est à ce dernier type de rictus que se réfère prioritairement la gomme à effacer le sourire tenue d’une main ferme par le représentant de l’ordre républicain susmentionné. D’une matière nettement moins souple que la gomme bicolore de la trousse d’écolier, la gomme à effacer le sourire a comme vocation principale de faire cesser dans l’instant l’ironie manifeste du manifestant.
Traditionnellement de bois, la matraque s’avère d’une redoutable efficacité sur l’alacrité et c’est bien en ultime pied de nez qu’elle reçoit comme synonyme celui de gomme à effacer le sourire. Notons cependant que cette appellation est typique du boulevard Saint-Germain et qu’ailleurs on la croise sous les dénominations plus exotiques de matraque de Kinshasa, gourdin d’Abidjan ou piolet de Bouaké.
Au repos, la gomme à effacer le sourire se porte à la ceinture, nettement visible mais pouvant encore prêter le flanc à la moquerie. En veille, elle tournicote au bout du bras de l’agent vigilant, marquant de ses circonvolutions maîtrisées toute sa capacité à rendre triste et pleurnichard celui qui devra en tâter. En action, c’est généralement son mouvement répété de haut en bas qui remettra l’insolent rieur à sa place.
Symbole de l’ordre depuis l’homme des cavernes, la gomme à effacer le sourire nous démontre combien grosses marades et risettes sont peu compatibles avec le règne de la vertu et du calme (à Varsovie, à Paris ou ailleurs²).
L’avénement bienheureux d’une époque où il est de mauvais goût de rire de tout et de quoi que ce soit (fut-ce avec n’importe qui ou pas) enverra fort opportunément la gomme à effacer le sourire au musée suranné. En modernité, l’usage de quelque objet contondant est strictement inutile puisqu’une actualité morose déversée en flots continus par notre-envoyé-spécial-sur-les-lieux-du-drame se charge elle-même d’effacer le sourire.
C’est cela dit un véritable progrès : on peut désormais descendre le boul’mich’ sans risquer un coup de matraque.
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