[ɡupiné a la désèrt] (gr. verb. VOL.)
Depuis que l’on a lu les aventures du malheureux Jean Valjean et l’épisode de l’évêque Myriel, l’on sait qu’il vaut mieux ne pas goupiner à la desserte mais que, somme toute, l’expérience peut aussi faire du larron un homme meilleur. Ce tendre goupiner tellement moins violent que voler, barboter, dépouiller, truander, cacherait-il quelques vertus ?
En subtilisant les couverts en argent du bon Monseigneur Bienvenu qui lui offre le gîte et… le couvert, Jeannot l’ex-bagnard goupine à la desserte, certes, mais prend aussi une leçon de bonté qui le mènera à la rédemption. Goupiner à la desserte possède une tendresse unique qui pointe derrière le délit du fruste goupineur, sa petite part d’enfant chapardeur de bonbons à la boulangerie.
S’il est convenu et entendu qu’on ne dérobe point l’argenterie dressée à la table où l’on est amicalement convié, il est cependant des cas particuliers où la tentation d’une cuillère à moka, l’attrait irrésistible d’une fourchette à escargot, la courbe affriolante d’un couteau à poisson, voire la rondeur suggestive d’un couteau à beurre, font commettre cet acte répréhensible de goupiner à la desserte. Et il aurait pu en cuire à nouveau à Valjean si l’évêque de Digne n’avait pas eu l’esprit de se gausser des pandores en offrant au voleur ses deux chandeliers d’argent qui le suivront jusqu’à sa mort.
Goupiner à la desserte fut chassé du langage comme un vulgaire maraudeur lorsque le non moins vulgaire couvert en plastique fit son apparition. Accompagné du terrible gobelet jetable permettant de célébrer le départ en retraite du responsable de la photocopieuse et des trombones à grandes rasades de mousseux chaud (mais ceci est une autre histoire), ce symbole plastifié de la modernité consumériste emporta dans sa poubelle finale l’argenterie familiale.
Voyons le bon côté des choses : désormais on ne goupine plus à la desserte; qui voudrait piquer des couverts en plastique ? D’un autre côté, ce n’est pas avec ça qu’on remettra les Valjean de passage dans le plus droit chemin. Misère…