[gʁate lø mɛ̃s] (exp. script. CULT.)
Il en est (tristement) ainsi de l’histoire de l’humanité : c’est en se foutant sur la tronche lors de batailles sanglantes que la connaissance progresse. De là à penser que l’ouverture d’esprit est proportionnelle à celle du crâne de l’ennemi il n’y a qu’un pas que la pédagogie se refuse cependant à franchir, préférant s’en tenir à des préceptes plus charitables comme la grammaire, la dialectique ou la rhétorique. Ceci est cependant une autre histoire.
En 751, plutôt que benoitement se chamailler lors d’un symposium ou simplement se tirer la bourre à grands coups de communiqués de presse, Tang et Abbassides préférèrent-ils envoyer ad patres quatre vingt mille soldats là-bas du côté de Samarcande pour finalement se refiler le secret de fabrication du papier jalousement gardé par ses inventeurs Chinois depuis six siècles. Ainsi le Progrès avançait vers l’Europe.
Cinq cents ans plus tard les Minutes de Notaire marseillais et le Registre des Enquêteurs d’Alphonse de Poitiers s’archivaient sur papier pour la première fois, permettant de contempler le chemin parcouru depuis le lointain Kazakhstan.
L’expression gratter le mince pour signifier « rédiger sur papier » était désormais autorisée à voir le jour.
Il n’est pas certain que le féru d’administration qu’était le frère de Saint Louis en soit pour autant l’inventeur. Gratter le mince renifle plutôt la gouaille de l’apache à qui la maréchaussée aimerait bien faire signer des aveux, la jactance du vaurien des faubourgs plus que le parler du noble chevalier en partance pour les croisades. Mais, dans tous les cas il y a des chances pour qu’un Alphonse ait été le premier à gratter le mince.
J’ai l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance…
Dès lors, que ce soit pour déclarer leur flamme à une mignonne ayant ce matin déclose sa robe de pourpre au soleil, savoir gré du remboursement rapide d’une dette, avoir l’honneur de rendre compte des agissements suspects d’un voisin, solliciter de votre haute bienveillance quelque faveur indue, amoureux, créanciers, corbeaux et quémandeurs allaient gratter le mince.
Une véritable passion française pour la correspondance, le roman, la dénonciation et la paperasse promouvaient la pratique au firmament d’un quotidien désormais scriptural. Et que je te gratte le mince sur des billets doux, en trois exemplaires et en appuyant bien fort parce qu’il y a un carbone, sur des pages et des pages de romans feuilletons payés à la ligne et même, ô paradoxe, en découpant des lettres dans le journal pour travestir une écriture bien trop identifiable.
De l’élève appliqué à ne pas faire baver sa plume au gratte-papier professionnel en passant par le quidam libellant un chèque au porteur ça grattait le mince en veux-tu en voilà dans les temps surannés.
Autant dire que pour l’expression c’était aussi l’euphorie. A deux doigts du Littré qu’elle était.
Et puis survint l’écran et son clavier tactile.
Plus la peine de gratter. Tout juste tapoter. Mince alors !