[ɡraté sé fès o sòlèj] (loc. verb. ANPE)
Aristote, Boileau, Montesquieu et tant d’autres développèrent cette fameuse Théorie des climats qui veut, grosso modo, que chacun voit dans l’autre un idiot parce qu’il doit supporter le froid, un soumis parce qu’il subit la mousson ou un fainéant parce qu’il vit sous un soleil de plomb.
L’ode philosophique au climat tempéré est donc probablement à l’origine de l’imagée formule gratter ses fesses au soleil destinée à répondre à l’état de chômage. Plus précisément on enjoint d’aller gratter ses fesses au soleil à quelqu’un qui se plaint de n’avoir rien à faire.
Qui n’a jamais connu l’ennui profond ou l’inaction n’a donc probablement jamais entendu l’expression gratter ses fesses au soleil.
« Paressons en toute chose, hormis en aimant et en buvant, hormis en paressant. »
Gotthold Ephraim Lessing
Geste mécanique traduisant à la fois la nonchalance ultime et un certain abandon des bonnes manières, gratter ses fesses au soleil s’entend comme une forme dédaigneuse évidente. Même quand ça démange, même au soleil assis dans un fauteuil scoubidou qui fini immanquablement par gratter, même avec un maillot de bain en tissu aussi irritant qu’un sous-pull jaune à col cheminée, on ne se gratte pas les fesses¹ !
À l’extrême rigueur, et encore, on excusera le businessman affairé vivant dans sa tour climatisée de se gratter les fesses dans l’ascenseur, parce que lui, il bosse, et il aimerait bien avoir-un-peu-de-temps-pour-lui-mais-avec-cette-conf’call-avec-Singapour-et-ce-Power-Point™-pour-demain-là-vraiment-il-n’a-pas-une-minute-on-se-rappelle-plus-tard.
Notons tout le côté sombre et subversif de Paul Lafargue², qui, en 1880 lorsqu’il rédige son fameux Le droit à la paresse, réfutation du droit du travail de 1848, ne nous dit rien d’autre que gratter ses fesses au soleil est une bénédiction voire un but de la vie, diffusant ainsi un poison qu’il aura la noble lucidité de s’injecter pour se donner la mort le 25 novembre 1911. Non mais des fois !
Inutile de préciser que cette date correspond aussi à la disparition officielle de gratter ses fesses au soleil en réponse à la complainte du chômeur à qui on préférera désormais ordonner d’aller chercher du boulot illico, espèce de feignasse qu’est-ce que tu fais là à glander ?
C’est moins joli, convenons-en, mais gratter ses fesses au soleil est réellement le comble de l’ignominie inactive dans un monde de travail et de croissance.