[avwar dé ɡrenuj dâ le vâtr] (loc. batrac. COA.)
La France adore les animaux.
Que ce soit pour les manger, cuisinés selon un telle quantité de recettes qu’il nous sera impossible d’en citer une seule en ces lignes, ou pour les cajoler, leur consacrant place sur le canapé et émissions télévisées, les animaux sont les icônes de la patrie. Des exemples ?
Le coq orne plus de fiers poitrails s’époumonant en Marseillaise que le buste de Marianne, pourtant égérie officielle du bleu blanc rouge. Le labrador d’un président de la République publie ses mémoires en quatre tomes chez Hachette. Renards, corbeaux, bœufs, loups, agneaux, rats et grenouilles font la morale à tout un peuple qui les apprend par cœur depuis plus de trois cent ans. Il vous en faut encore ?
Alors pourquoi serait-il surprenant que les gargouillis encombrants d’un abdomen gorgé de gaz prêts à fuiter se traduisent en avoir des grenouilles dans le ventre ?
Le processus digestif obligeant le bol alimentaire à visiter successivement œsophage, estomac, duodénum, jéjunum, iléon et côlon, organes producteurs de sonores déglutitions, renvois et vents, il eut été facile pour une langue quelconque de se contenter d’user de borborygmes.
Mais la langue surannée qui règne par ici est poétesse et aime à se faire comprendre, aussi a-t-elle créé avoir des grenouilles dans le ventre plutôt que cette imprononçable succession de consonnes et son perfide i grec fait pour la faute d’orthographe.
Synthèse de cet amour des lettres et de bonne chère, avoir des grenouilles dans le ventre ne peut que subjuguer par la justesse de son évocation sonore.
Avoir des grenouilles dans le ventre ne cache pas son sujet : on entend coasser. Les spécialistes des amphibiens réclameront qu’on précise s’il s’agit de grenouilles rieuses, de pelobates cultripèdes, de grenouilles de lessone ou de simples rainettes, mais laissons les gloser; l’essentiel est bien qu’on entende un bruit tel qu’un soudain et gênant silence réprobateur s’installera en toute bonne société soumise à son écoute.
Coa, coa, cooooaaaa ! Celui qui a des grenouilles dans le ventre avoue avec son concert batracien qu’il a pêché par gourmandise voire qu’il a même abusé de la Dive Bouteille. Et seule la plus noble décence empêche d’imaginer que le stade ultime de son transit intestinal se fait en quelque sorte annoncer par ces trompettes de la renommée… Coa, coa, cooooaaaa !
Accompagnant la brutale disparition de la grenouille des assiettes, des contes pour enfants et des mares de nos campagnes, avoir des grenouilles dans le ventre s’est rangée sur les étagères de la bibliothèque surannée. Tout comme il sait qu’il ne se cache pas une princesse derrière chaque grenouille (ou un prince derrière chaque crapaud, mais ceci est une autre histoire), le moderne pragmatique sait que le bruyant ballonné n’a pas vraiment de grenouilles dans le ventre.
Si ça gargouille c’est que ça va péter. Le moderne n’est pas vraiment un poète.