[abité dy koté de nòtr-sèNër] (loc. loc. 6e)
Tandis que le SMS Titanic sombrait dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, les huit musiciens de son orchestre ne lâchaient pas l’affaire.
Sous la direction de Wallace Hartley, Roger Bricoux, William Theodore Brailey, John Wesley Woodward, John Law Hume dit Jock, Georges Alexandre Krins, Percy Cornelius Taylor et John Frederick Preston Clarke jouaient les notes de Lowell Mason et fredonnaient les paroles de la poétesse Sarah Flower Adams : « Mon Dieu, plus près de toi, plus près de toi » (Nearer, my God, to Thee, nearer to Thee).
Ce dernier récital qui forgera la légende de l’orchestre du Titanic aurait pu être à l’origine de l’expression habiter du côté de Notre-Seigneur (tous les musiciens périront dans le naufrage) si celle-ci avait marqué une quelconque vocation au martyre héroïque. Mais son sens est plus prosaïque.
Il faut faire preuve d’abnégation pour habiter du côté de Notre-Seigneur
Habiter du côté de Notre-Seigneur s’emploie pour annoncer qu’on a sa carrée au sixième sans ascenseur (en ces temps où Félix Roux et Jean Combaluzier n’ont pas encore équipé les immeubles haussmanniens). On est loin de l’Atlantique Nord et de ses icebergs fatals.
Il n’en faut pas moins faire preuve d’abnégation pour habiter du côté de Notre-Seigneur et c’est souvent le petit peuple qui s’y colle puisque le sixième étage est celui des chambres de bonnes, le deuxième accueillant l’étage noble avec grands appartements, hauteur sous plafond et balcons filants.
Il est en effet admis que le puissant doit ménager ses efforts, notamment dans l’escalier, et qu’il pourra se rattraper dans sa relation avec les autorités démiurges le dimanche à la messe en entonnant à son tour un tonitruant « Mon Dieu, plus près de toi, plus près de toi ».
Habiter du côté de Notre-Seigneur est donc diffusée par le monde du haut (de l’immeuble) qui est aussi celui d’en bas (de l’échelle), et la haute (du 2e) qui vit un peu au dessus du monde d’en bas sans visiter celui d’en haut, si ce n’est en de récréatives occasions le temps de trousser une soubrette (mais ceci est une autre histoire).
Le succès est tel que même lorsque sont installées les cages mécaniques modernes pour monter sans effort, habiter du côté de Notre-Seigneur continue à s’entendre chez les locataires du sixième de plus en plus étudiants et de moins en moins domestiqués¹.
La flambée immobilière et l’annexion des chambres de bonnes exiguës par des spéculateurs vendeurs de surfaces atypiques dans bel immeuble de caractère (pierre de taille) avec toutes commodités à proximité, obligera habiter du côté de Notre-Seigneur à s’écarter de leur chemin.
Au prétexte que l’expression rebuterait les acheteurs des mètres carrés d’en haut, celle-ci est priée de se taire et de filer en surannéité en prenant l’escalier.