[abité syr lé brujar dy ron] (loc. verb. SDF)
Les conditions météorologiques ont toujours inspiré les bavards du quotidien : froid de canard, temps de singe en laiton, pleuvoir comme vache qui pisse peuplaient les conversations pour ne rien dire des temps où il était autorisé d’adresser la parole à un(e) inconnu(e) sans risquer un procès.
Il fallait évidemment que les conditions propices à l’amassement de fines gouttelettes d’eau à proximité du sol soient réunies pour qu’habiter sur les brouillards du Rhône se forme et cette bonne ville de Lyon avec ses deux fleuves¹ et son climat subtropical humide en bordure d’un climat océanique² semblait prédestinée. Mais les hydrométéores ne pouvaient suffire : l’expression a besoin de mouscaille pour nourrir son sens.
Berçant la capitale des Gaules de leur halo mystérieux, les brouillards du Rhône ont donc contribué à nimber d’un voile cotonneux et pudique plusieurs situations très délicates à exprimer dont celle consistant à être de la cloche.
Ainsi habiter sur les brouillards du Rhône revient-il à manquer d’un toit, à dormir à la belle étoile, à vivre dans la rue.
Née sur les pentes de la Croix-Rousse, habiter sur les brouillards du Rhône suggère en effet les conditions de vie difficiles des canuts, ces ouvriers payés à la pièce ou à la journée pour tisser la soie qui fera les étoffes des élégantes et les mouchoirs de demoiselle à laisser choir pour se faire remarquer par l’élu de son cœur (mais ceci est une autre histoire).
Les dix-huit sous glanés chaque jour pour quinze heures de labeur suffisent à peine à la pitance aussi nombre de compagnons sont-ils obligés de coucher dans le lit aux pois verts. Habiter sur les brouillards du Rhône ne s’avérant guère confortable et à peine romantique, s’en suivra la révolte des canuts (21 novembre – 3 décembre 1831, puis du 9 au 15 avril 1834) considérée comme la première insurrection ouvrière.
Notons que ces brumes s’épanouiront largement avec manger sur les brouillards du Rhône pour désigner un jeûne forcé et hypothéquer sur les brouillards du Rhône qui souligne une très grande incertitude dans l’action.
Les bistanclaque-pan³ quittant peu à peu la ville, leurs servants les suivront et abandonneront ce faisant leur habitat de fortune sur les brouillards du Rhône. Une opportunité rêvée pour le moderne qui n’aime rien tant que les sigles qui cachent la misère derrière leurs majuscules et leur ânonnement : le brumeux SDF (pour être Sans Domicile Fixe) pousse en surannéité cet habiter sur les brouillards du Rhône pas assez officiel.
Les brouillards du Rhône se dissiperont rapidement dans la foulée.