[ɥil də fwa də mɔʁy] (gr. n. MÉD.)

Fig. 1. Morue de l’Atlantique (Gadus morhua).
Tous étaient gustativement valables. Il n’en est rien de ce mot que nous partageons aujourd’hui.
L’huile de foie de morue possède non seulement le défaut de provenir de la cuisson, de l’écrasement et de la décantation de foies cuits pour en extraire l’huile d’un poisson laid¹, mais surtout, surtout, elle est dotée d’un goût qui peut en amener certains à préférer sa cousine de vidange. On peut sans même se prétendre fin gourmet observer que si la morue a la chair savoureuse elle a en revanche l’huile peu goûteuse. Forte et amer elle repoussera les délicats avec ses taux d’acide docosa hexaénoïque et d’acide eicosapentaénoïque certes sources de bienfaits pour l’organisme mais entre nous à quoi bon vivre longtemps si c’est pour s’avaler de l’huile de foie de morue ?
C’est bien là la seule vertu de la morue et de son huile : nous interroger sur l’utilité d’une existence longue et déplaisante, surtout quand il ne tient qu’à nous d’en avoir une longue et bien plaisante. À quoi bon l’huile de foie de morue quand il y a le vin, qu’il nous vienne de Bourgogne, de Bordeaux ou plus loin ? À quoi bon l’huile de foie de morue quand on possède le beurre de Normandie, la graisse d’oie du Périgord, l’huile d’olive vierge d’Andalousie ? À quoi bon l’huile de foie de morue quand on vit dans un pays qui propose plus de fromages qu’on ne pourra jamais en apprécier ? À quoi bon l’huile de foie de morue quand chaque sous-préfecture fournit tant de spécialités qui ne demandent qu’à être goutées ? Et pourquoi occire ainsi la morue à la tonne quand on se contenterait d’une seule et jolie petite cocotte ?
Vous m’en avez donné de cet ignoble breuvage censé me faire grandir (je peine à toiser le mètre quatre-vingt), me faire apercevoir (je suis myope telle la taupe), me faire un squelette solide (je n’entends pas finir en trophée de classe d’anatomie), me faire lutter contre la perte de mémoire (je ne retrouve jamais mes clefs). Vous m’en avez donné et ça n’a pas servi à grand-chose si ce n’est à la sur-pêche d’un poisson à qui je ne voulais aucun mal. Combien de litres de ce liquide visqueux mes entrailles ont-elles vu passer ? Trop, beaucoup trop.
Il est grand temps de laisser la morue nager en paix dans ses eaux froides et de filer pour ma part vers des mers et des plages bien plus chaudes où la seule huile dont j’aurai bien besoin sera celle qui m’aidera à me tanner le cuir. Mes chers amis il est l’heure, je m’en vais sur mon île, celle de la Tortue, loin, très loin de l’huile de foie de morue.
Qui sait, peut-être y trouverai-je un trésor…