[il fodrè yn bòn ɡèr] (impréc. ÉCO.)
Elles fleurent bon le suranné ces années soixante-dix, quand notre grand-mère concluait le repas de famille qui s’éternisait dans de pénibles considérations macro-socio-économiques sur les conséquences du choc pétrolier et le chômage galopant d’un définitif : il faudrait une bonne guerre !
Ladite grand-mère avait pourtant connu les affres de l’Occupation et les malheurs de la guerre, la vraie, elle avait même suivi, enfant, le corbillard de son père revenu des tranchées avec ses jambes mais sans ses poumons. Ses petits-enfants ne manquaient pas alors de témoigner de leur effroi à l’idée de devoir partir à la guerre mais se voyaient ramenés à leur juste place dans une société surannée mais ordonnée : « tu comprendras quand tu auras fait ton service et que tu seras un homme, mon petit Roger¹ ».
La bonne guerre existait donc, sinon dans les faits, du moins dans les esprits. Celle où l’on partait pour quelques jours venger l’honneur de l’Empire français et d’où l’on revenait, défait mais en République, et sans l’Alsace.
La bonne guerre, c’était aussi celle où l’on (re)partait la fleur au fusil et le sourire aux lèvres quelques années plus tard et d’où l’on revenait, la gueule cassée mais auréolée de boue et de gloire, fort d’une victoire géopolitique qui voyait revenir l’Alsace dans la République.
La bonne guerre, c’était aussi celle où l’on préparait la République suivante dans le secret du maquis, en titrant le programme du prometteur et non moins suranné « Les jours heureux ».
La bonne guerre, c’est donc ce moment des temps surannés où plus rien n’est comme avant, toute la société et l’économie se transforment à l’aune des combats.
Fallait-il nécessairement une bonne guerre pour récupérer l’Alsace ou pour obtenir la sécurité sociale et le vote des femmes ? N’y avait-il pas d’autres solutions plus diplomatiques et moins meurtrières ?
Dans les temps surannés, ces questions ne pouvaient se poser sans faire peser sur l’imprudent qui s’interrogeait ainsi l’opprobre d’un défaitisme présumé à la solde du Boche, entraînant guillotine en temps de paix et plus sûrement peloton d’exécution en temps de (bonne) guerre.
Et comme l’apprit donc le petit Roger, il avait fallu une bonne guerre pour forger les hommes, les vrais, ceux qui avaient échappé à l’éparpillement de leurs organes par petits bouts, façon puzzle, et qui étaient revenus des combats en héros. Ainsi en témoigne Romain Gary dans « Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable » (titre lui-même suranné dont seuls nos lecteurs aguerris sont capables de saisir tout le piquant, mais ceci est une autre histoire) :
– En 1944, je débarquais en Normandie, à Omaha Beach, sous les mitrailleuses, je libérais Paris ; vous, vous étiez un héros de la Résistance, colonel à vingt-six ans dans le maquis ; et maintenant on ne peut plus bander. Vous ne trouvez pas ça dégueulasse ?
– Oui, ce n’était vraiment pas la peine de gagner une guerre… Peut-être faudrait-il refaire une guerre pour remettre ça d’aplomb.
Entre temps, Boris Vian avait chanté les succès du petit commerce, celui du marchand de canons qui donne « de l’ouvrage à tous les ouvriers, et chacun envisage de fonder un foyer ».
Comment tant de bonheur social aurait-il été possible sans quelque bonne guerre pour écouler les stocks de canons et assurer ainsi l’ouvrage à tous les ouvriers employés par ledit marchand de canons ?
Les esprits chagrins verront dans tout cela l’illustration s’il en manquait encore de ce capitalisme qui porte la guerre en lui comme la nuée porte l’orage, ainsi que ne l’a pas dit précisément Jean Jaurès (mais ceci est aussi une autre histoire). La guerre, fille de l’impérialisme, stade ultime du capitalisme, comme l’avait prédit Lénine.
Et pourtant, malgré ces exemples venus de Très Haut, nos grands-parents communistes continuaient à prôner qu’il faudrait une bonne guerre, sans plus de préoccupation pour la sale guerre forcément sous-jacente, montrant ainsi la force du suranné dans les esprits, supérieure même aux forces de l’endoctrinement pacifiste de gauche.
¹Si tant est que l’impétrant s’appelât Roger.
✒︎ Une définition rédigée par Maître Roger, @maitreroger
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