[ne pa avwar êvâté la maSin a sêtré lé banan] (loc. verb. FRUI.)
Quel con !
Si l’exclamation est d’un vulgaire consommé j’en conviens, elle peut s’avérer bien utile au quotidien, je l’admets tout autant¹. La bêtise n’était pas absente dans les années passées, loin de là, mais la surprise ou le constat qu’elle générait alors avaient d’autres résultats qu’un simpliste quel con !
Le langage créatif et imagé que l’on dit suranné possède la double qualité d’un humour corrosif et d’une humanité bienveillante, deux composants instables qu’il convient de manier avec délicatesse sans quoi ils vous exploseront au visage. Il a donc créé pour remplacer quel con une foultitude de visions tournant autour de l’innovation (on est encore à une époque où l’imagination est reine et admirée), affublant ce faisant l’imbécile de certains manquements laissant deviner son état. Oui, le langage d’antan est subtil.
Parmi les nombreuses inventions auxquelles n’aura donc pas contribué l’abruti, on trouvera le fil à couper le beurre, l’eau chaude, la poudre, le bidon de deux litres et la machine à cintrer les bananes. Quand elle sortait de la bouche grand-paternelle celle-là, par exemple à l’occasion d’un repas familial au cours duquel je me tenais sage comme une image, c’était l’eau qui ressortait tout de go par les narines pour peu que j’aie eu la mauvaise idée de boire au même moment². Je finissais mon gratin dauphinois pieds dans l’eau mais ça en valait le coût car ne pas avoir inventé la machine à cintrer les bananes était dans les premiers de mon hit-parade personnel.
Pour l’esprit enfantin qui n’avait encore jamais mis les pieds dans une bananeraie et qui ne connaissait du fruit que le goût pâteux et sans intérêt qui nous est balancé sur l’étal par les multinationales sans saveur, ne pas avoir inventé la machine à cintrer les bananes interrogeait quelque peu. Alors donc Chiquita, Dole, Del Monte, Fyffes, posséderaient des machines oppressantes qui s’échineraient à courber ce que la nature a fait droit ? Mais pourquoi ? D’obscures raisons logistiques contraindraient-elles la rigide banane à s’arquer ? Ou alors peut-être l’esthétique ? Ou l’ergonomie, la prise en main s’avérant plus aisée sur une banane courbée.
De nombreux va-et-vient là-bas au bout du monde d’où arrivent le ventre alourdi de fruits les bateaux me permirent heureusement de croiser la banane mignonne, la banane blanche, la banane Saint-Joseph, la banane Valérie, la banane rose, la banane plantain, la banane carrée, que l’on prépare flambées, en beignets, en confiture ou en gâteaux et surtout que l’on mange à tout moment parce qu’elles ont bon goût.
Nul besoin d’avoir inventé la machine à cintrer les bananes pour piger qu’un fruit n’est bon à déguster que là où il mûrit, c’était là le message qu’aurait dû engranger une époque qui désormais se gave de fraises insipides en janvier, vend des cerises à Noël, oublie la saveur des tomates et nous sert des choux de Bruxelles à la cantine toute l’année !
Le bonheur était dans la bananeraie, je le savais.