[la sêk] (n. fém. TV.)
Sur un navire on ne prononce jamais le véritable nom de l’animal aux grandes oreilles. Dans un théâtre c’est le titre de la pièce de Shakespeare qui met en scène un général régicide de l’époque médiévale qu’il ne faut pas citer sous peine des plus pénibles châtiments d’origine obscure.
Dans le monde de l’audiovisuel c’est un chiffre qui est tabou. Un chiffre terrible, synonyme de paillettes, de décolletés plongeants, de filles court vêtues et d’hommes aux costumes scintillants… et de disparition.
Attention : la lecture de cette définition est dangereuse.
Il nous faut replonger dans les années surannées triomphantes, celles qui viennent d’accueillir depuis deux ans une quatrième chaîne de télévision qui a comme défaut de devoir se mirer à travers une passoire pour accéder aux subtilités culturelle du premier samedi du mois vers minuit (à moins que vos parents suffisamment fortunés ne soient ce qu’on appelle avec déférence et majuscule, des Abonnés). De ces contraintes techniques et économiques il n’est nullement question sur : La Cinq !
Cinquième chaîne hertzienne comme son nom ne le cache pas (d’ailleurs elle ne cache pas grand chose La Cinq), La Cinq débarque dans le PAF¹ comme un bellâtre italien dans une concert Justin Bieber. Et paf, c’est qu’il emballe, le ténébreux. Silvio Berlusconi en tête, gominé comme jamais, dents blanches et accent spécial pré-pubères ou mamies en croisière, La Cinq programme sous nos yeux ébahis tout ce que sa grande sœur romaine Canale 5 possède en catalogue, rubrique applaudissez-quand-je-vous-le-dis : Pentathlon, C’est beau la vie, Cherchez la femme…
Avec ses rediffusions trois ou quatre fois par jour, ses pages de publicité incessantes, La Cinq permet à l’insomniaque, au travailleur en trois huit, à la ménagère de moins de cinquante ans, de ne jamais rater leur programme préféré; puisqu’il repassera. C’est une sorte de petit miracle pour celui qui se morfondait d’avoir manqué l’épisode 27 de Shérif, fais-moi peur (vous savez, la Dodge avec le drapeau confédéré et Daisy avec son short en jean déchiré…) ou une réplique de K2000 (la voiture qui parle et qui aurait pu gagner tous les concours de tuning sur les parkings Conforama, mais ceci est une autre histoire). La Cinq est une révolution et comme toutes les révolutions elle ne va pas faire que des heureux.
Attaquée politiquement, vilipendée par le monde du cinéma, traînée en procès par ceux qui ne veulent pas du cinéma colorisé, La Cinq affronte bien des tempêtes. Fin 1991, elle fait ses comptes : elle a perdu 3,5 milliards de Francs. Le 12 avril 1992, à minuit, La Cinq est débranchée. Bienvenue dans la modernité et sa rentabilité.
La Cinq devient surannée et fait mentir son slogan de 1988 : La Cinq, la télé qui ne s’éteint jamais. La Cinq vous prie de l’excuser pour cette interruption définitive de l’image et du son, inscrit-elle sur l’écran en guise d’épitaphe.
Plus jamais son chiffre maudit ne sera prononcé. Comme lapin. Comme Macbeth.