[la sêttuS] (n. comp. SMIC)
En un peu plus de deux mille ans d’exercice de leur sacerdoce, l’église romaine et ses filiales, certaines de ses concurrentes et divers petits cultes exotiques ont eu très largement le temps de produire un nombre honorable de correspondants célestes, commis comme tels du fait de leur remarquable action terrestre¹.
L’usage veut que ces béatifiés pour service rendu soient appelés par leur prénom (la familiarité est semble-t-il de rigueur au Paradis) précédé du titre de saint, le graal étant atteint quand la postérité l’inscrit dans le calendrier des P&T. Ainsi saint Michel n’est-il pas qu’un boulevard, une place ou une station de métropolitain, saint Valentin un apôtre de fête commerciale et saint Cucufa une occasion de pouffer (quand on a moins de dix ans).
Il est cependant une fête sainte qui échappe à cette règle prénominale : la Sainte-Touche.
La Sainte-Touche n’est pas un jour férié célébrant le sacrifice d’une prénommée Touche ou le miracle réalisé par une demoiselle Touche en un temps où la science n’avait pas encore suffisamment de représentants capables d’analyser la moindre apparition de Vierge ou l’audition de voix venues d’ailleurs.
Pourtant la Sainte-Touche est ô combien vénérée – y compris par le dernier des païens – puisqu’elle représente le jour de la paye.
« À la Sainte-Touche le pactole tu touches » pourrait proposer l’Almanach Vermot dans l’une de ces impérieuses et dithyrambiques maximes dont il a le secret.
Hebdomadaire dans les temps surannés, quotidienne même pour les plus précaires, la Sainte-Touche a vu son culte stabilisé en une révérence mensuelle (entre le 28 du mois en cours et le 4 du suivant) et insatisfaisante pour une majorité de pratiquants; c’est que le saint patron qui domine la Sainte-Touche est souvent un ingrat renâclant à l’idée qu’elle grossisse avant la Saint-Glinglin.
La Sainte-Touche est ainsi condamnée à décevoir ses servants (sauf quelques bigots sachant astucieusement s’octroyer les faveurs du Très Haut², mais ceci est une autre histoire), mois après mois. En de rares cas elle peut être aidée par des confrères consacrés et combler un paroissien ayant misé sur la bonne case à la roulette de Saint-Amand-les-Eaux, parié sur le bon cheval à Saint-Cloud ou hérité d’un oncle de San Francisco.
En 1975, c’est un jeu de société venu directement du pays de la bonne fortune, l’Amérique, qui va faire s’évanouir l’expression. Grâce à ses règles simples les petites têtes blondes françaises qui refusent encore de se courber apprennent les affaires, les factures et les fins de mois difficiles. Tout en riant, évidemment.
La Sainte-Touche n’apparaissant pas comme suffisamment ludique (et pouvant laisser penser à d’autres jeux, interdits par la morale quant à eux), c’est La Bonne Paye qui est choisi comme nom par la Parker Brothers³.
C’est un succès.
La Sainte-Touche s’efface en surannéité.