[lâɡ de bëf sos pikât] (recet. CULIN.)
Malgré sa litanie de recettes traditionnelles expliquées à longueurs de livres jamais ouverts ou d’émissions télévisées vouant au pilori médiatique pour une carotte trop cuite ou une crème mal fouettée, la cuisine française a vu poussés vers l’oubli certains de ses plats trop longtemps proposés aux hordes écœurées des élèves de l’école Jean Macé (et autres établissements sous contrôle de l’éducation nationale).
On peut aujourd’hui affirmer que la langue de bœuf sauce piquante est une élucubration culinaire bien heureusement surannée. Et que par conséquent, les enfants des écoles modernes vivent sans crainte l’arrivée du jeudi, jour triste et maudit de la langue de bœuf sauce piquante.
Selon toute vraisemblance inventée par un cuisinier romain puisque citée aux côtés des testicules de veaux, des vulves de truie et de l’estomac de porcelet farci dans le fameux De re coquinaria de Marcus Gavius Apicius (-25 av. JC – 37ap. JC), la langue de bœuf sauce piquante est à l’origine de plus d’une punition collective pour bataille de purée¹, le dégout engendré par son service à la cantine déclenchant systématiquement une révolte du petit peuple en culottes courtes.
Nombreux sont encore aujourd’hui les récits de ces insoumis à la tambouille scolaire qui hoquetteront en évoquant la vision de l’organe charnu baignant dans un liquide orangé et visqueux, validant les craintes des plus sensibles que l’odeur âcre et agressive du plat avait alertés depuis la récré de dix heures. La langue de bœuf sauce piquante est l’un des rares souvenirs capable de faire écorcher le renard à sa seule remembrance, même des dizaines d’années après sa dernière apparition.
Une époque qui faisait peu de cas de l’avis et du goût enfantin tenta ainsi de nourrir plusieurs générations de ses forces futures à la langue de bœuf sauce piquante, ne se doutant pas qu’elle cultivait alors les graines d’une contre-culture destructrice.
Car la langue de bœuf sauce piquante fut bien entendu poussée violemment en surannéité après l’obtention du droit de déjeuner ailleurs qu’à la cantine, c’est-à-dire au environs de l’obtention du bachot. Un droit qui ira s’exercer dès juin 1972 au McDo de Créteil, première implantation française de celui qui profitera bien opportunément de l’aversion créée par la langue de bœuf sauce piquante pour napper ses tranches du même bœuf de ketchup et de mayonnaise sucrée et éloigner un peu plus du bon goût des papilles perdues.
Maudite langue de bœuf sauce piquante qui œuvra sourdement pour que le Big Mac puisse apparaître comme un sauveur.