[lapê de kòridòr] (n. vernac. POUV.)
Entendons-nous bien : lorsque naît l’expression que nous allons disséquer, elle ne comporte strictement aucun mépris, aucune condescendance, tout juste une certaine distance un peu bourgeoise imposée par l’organisation du travail.
Inutile donc de tomber sur le râble de la langue surannée et de la tancer de tenir une vision rétrograde. Tout ça parce que certains ne tolèrent plus guère qu’il faille du personnel de maison pour justement en tenir une correctement.
Le lapin de corridor fait bien partie de cette catégorie des employés attachés aux diverses tâches afférentes à la vie du logis. Si l’animal à longues oreilles, ou langoustine des prés comme on paraphrase dans la marine, est dit de corridor c’est parce qu’il s’y agite toute la journée, anticipant, ordonnant, révérençant, gouvernant ce monde qui va des communs à la chambre rose en passant par le petit salon, le boudoir, le fumoir et la bibliothèque.
Le lapin de corridor est un roitelet d’appartement et il y gambade comme son homonyme s’épanouit dans la prairie.
C’est cette facilité lue comme servilité qui va aussi faire du lapin de corridor le synonyme du fleure-fesses, du fayot de service, de celui que l’on croise dans toute organisation dont les décisions se prennent dans des bureaux à porte molletonnée (ministère, multinationale, état-major, sous-préfecture, etc.). Le lapin de corridor y construit sa carrière à grands coups de langue tantôt lécheuse tantôt de vipère, et rien ne se mettra entre lui et son Graal : la clef de la photocopieuse du troisième étage, source du pouvoir de reproduction (au figuré certes mais c’est déjà ça).
Le véritable carnivore c’est le lapin de corridor, pas le jeune loup frais émoulu de son école ou le vieux briscard à qui on ne la fait plus. Étrange renversement de l’ordre naturel, certes, mais réalité d’un monde moderne qui s’étend désormais de la salle de réunion au bureau du grand chef tout en passant par l’open space.
Devenant suranné, le lapin de corridor finira par disparaître du langage mais pas du paysage. S’il ne se nomme plus pareil, il est toujours aussi facile à reconnaître car il possède encore une caractéristique majeur de son prédécesseur; non pas les grandes oreilles qu’on aimerait parfois lui tirer ou même tailler en pointes, mais les dents : comme celles du lapin de corridor, elles rayent le parquet.