[le karfur déz- ékrazé] (loc. plan. ODON.)
C‘est vers la fin du Suranné, quand l’impérieuse nécessité de rendre un hommage appuyé à de nombreux héros qui avaient sacrifié leur vie pour la liberté se traduisit dans l’urbanisme, que de nombreuses grand’ rues, rues d’en haut, rues d’en bas, voies du lavoir et autres chemins du moulin, se transformèrent en avenues des généraux Leclerc ou de-Gaulle, en rues Jean-Moulin pour ne citer qu’elles.
Ce mouvement odonyme qui fit alors rêver les ambitieux encore bien vivants d’une postérité cartographique et postale (quoi de plus émoustillant pour un ego trop enflé que de laisser aux générations futures son patronyme en guise d’adresse ou sur une carte Michelin), bafoua cependant plusieurs localisations aux dénominations gagnées elles aussi dans le sang.
Le carrefour des écrasés était de cette trempe là.
Et paf le chien !
Formé par la croisée du boulevard Montmartre, de la rue Montmartre et de celle du Faubourg-Montmartre, le carrefour des écrasés s’était bâti une réputation cruelle pour les piétons, nombreux étant ceux qui avaient laissé la vie ou une partie de leur intégrité physique sur ces pavés très fréquentés par des cochers lancés à pleine allure que la pente du boulevard Montmartre empêchait de s’arrêter… et paf le chien !, comme on ne disait pas encore puisque le fameux Pif Gadget à l’origine de l’exclamation ne devait naître qu’en 1969 (mais ceci est une autre histoire).
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Bien logiquement, le croisement était devenu le carrefour des écrasés, nom révérencieux tout autant que prédictif pour ceux qui en envisageaient la traversée. Chaque semaine ou presque une victime venait renforcer l’appellation suite à une descente non contrôlée d’une voiture.
Ce faisant le carrefour des écrasés réglait aussi la sourde querelle viaire de l’attribution d’une intersection : ce point exact où se croisent les deux voies est-il du boulevard Montmartre, de la rue Montmartre ou de celle du faubourg-Montmartre ?
Ou, comme l’on disait alors dans les problèmes mathématiques soumis aux élèves perplexes, « si une voiture de 1500 kilogrammes tirée par deux chevaux blancs descendant le boulevard Montmartre à vingt-deux virgule trois kilomètres par heure percute un piéton étourdi venant de la rue du Faubourg-Montmartre et souhaitant se rendre à l’Opéra (sachant qu’il doit y arriver avant dix-huit heures), celui-ci sera-t-il un écrabouillé du faubourg ou un aplati du boulevard ? Vous avez quinze minutes, attention il y a un piège ».
La réponse carrefour des écrasés sauva bien des malins pour lesquels d∩d′={A} ne représentait rien.
L’arrêté du 13 mars 1985 portant création de la Commission d’examen des projets de dénomination des voies, places et espaces verts de la Ville de Paris condamna le beaucoup trop explicite carrefour des écrasés à devenir suranné.
Dans une ville à zones de circulations apaisées qui partage la voirie entre mobilités douces, piétons responsables et automobilistes avenants, comme aime à la rappeler le moderne, ça faisait mauvais genre (le moderne ne se déplace qu’en mobilité douce¹ et a horreur du mauvais genre).