[le frâ è tôbé] (belgi. COMPRÉH.)
Le 4 mars 1889 l’industriel français Henri Émile Schloesing dépose le brevet n°196/462 qui lui confère les droits sur l’invention du distributeur automatique de liquides, machine merveilleuse qui débute sa carrière en servant des boissons chaudes aux dockers du port de Marseille (puis rapidement du vin et de la bière).
À Paris et dans soixante-dix autres villes on se met hardi petit au diapason et les autorités permettent l’installation des appareils Schloesing qui vont bientôt, au-delà des boissons chaudes ou alcoolisées, servir l’expression le franc est tombé.
Pourtant reconnu par les chercheurs comme belgicisme (certains avancent l’influence du brevet n°1409 déposé au grand-duché du Luxembourg en février 1890 par Schloesing comme preuve d’une stratégie d’influence en plat pays, mais la thèse reste fantaisiste aux yeux des plus nombreux) le franc est tombé semble être né en France avant de trouver son épanouissement dans un autre pays du franc (belge en l’occurence).
Pour s’avérer intelligible et marquer l’instant furtif du basculement de l’interrogation vers la compréhension de tout propos ou de toute construction intellectuelle mystérieuse¹, le franc est tombé a besoin d’espèces sonnantes et trébuchantes introduites dans la fente d’un distributeur automatique dont la chute produit un son si caractéristique qu’il lui est donc donné de symboliser cette seconde de son gling-gling.
Gling-gling ! Le franc est tombé
Sans franc pas de gling-gling puisque seul le franc (belge comme vu princeps) est admis dans les distributeurs susmentionnés. Les petits malins qui auront essayé de glisser dans l’interstice adéquat d’autres monnaies en seront pour leurs frais : c’est un badaboum rejetant leur obole qui répondra à leur tentative d’exaction. Et badaboum n’est pas gling-gling.
Paradoxalement ils comprendront alors qu’on ne peut abuser de la machine, toute dénuée de cerveau qu’elle soit, et l’on pourra dire que pour eux aussi le franc est tombé, même si ce sont des pesetas, des lires ou d’autres pièces encore plus exotiques qui auront chu piteusement.
Grâce au déploiement massif des machines à mauvais café et autres soupes imbuvables en Flandre, en Wallonie et partout où pour une pièce en alliage de cuivre et de nickel (d’étain et d’aluminium si la machine accepte la petite monnaie) on peut les obtenir, le franc est tombé prendra racine dans le langage du quotidien.
En quelques années l’expression devient le meilleur moyen de signifier qu’on a compris, fût-ce après un long et laborieux processus qu’un interlocuteur inattentif pourrait prendre pour de la bêtise : c’est lui alors qui soupirera le franc est tombé en guise de célébration de l’entendement. Alléluia, le franc est tombé !
Le 1er janvier 1999 le franc tombe à Bruxelles.
Devant l’euro il cède, bien que représentant 40,3399 fois ce que vaut cette nouvelle monnaie. La brèche ainsi ouverte emporte tout sur son passage : le prix du café au distributeur, la conversion, l’échelle des valeurs et l’expression le franc est tombé.
Une anecdotique tentative de remplacement par l’euro est tombé échouera.
Le franc n’est plus et il ne cherra plus². Tant pis pour ceux qui n’ont pas compris, l’argent qui meut le monde avancera sans eux.