[lə nɛ̃ blø] (n. prop. JOUE.)
Le Nain Bleu est le magasin de jouets surannés le plus suranné que je connaisse. Ah on est loin des « Jouets C’est Nous » ou autres chaînes en matière plastique qui vendent du rêve marketé-PLVé à nos chères têtes blondes !Ouvert en 1836 sur le boulevard des Capucines (date et lieu surannés), le Nain Bleu va rapidement s’imposer comme le lieu magique où les enfants bien nés venus de toute l’Europe viendront rêver jouets et s’approvisionner en dînettes de porcelaine, poupées habillées, fusil à patate précis et chevaux de bois à crinière douce. Il déménagera au numéro 406 de la rue Saint-Honoré pour y peaufiner sa légende de lieu paradisiaque et chic, puis à la Madeleine avant d’éphémériser boulevard Saint-Germain chaque Noël des années modernes.
Je crois que le seul et unique voilier que j’ai jamais possédé et qui fendait les flots du bassin du Luco venait du Nain Bleu, ce qui explique qu’il ait navigué tant d’années sans jamais prendre le bouillon. Car le Nain Bleu a toujours proposé des jouets d’une qualité irréprochable et d’une longévité à toute épreuve. Et ce credo maison ne l’a jamais quitté pendant que huit générations de la même famille se succédaient à sa tête.
Le Nain Bleu c’était des jouets comme on n’osait même pas en imaginer dans nos rêves les plus fous : des ours en peluches encore plus grands de mon Papa (qui est pourtant très grand), des voitures à pédales plus rouge que la plus rouge des Ferrari (qui est pourtant très rouge), des cottes de mailles et des épées de chevaliers plus solides que Durandal (qui est pourtant très solide), des poupées au tain de porcelaine plus doux que la plus belle des jolies blondes (qui est pourtant très jolie). Mais ce bonheur se méritait : il fallait être super sage pour avoir le droit de passer au Nain Bleu. Autant dire que le déroulement de ma carrière d’enfance m’a fait rater certains des rendez-vous…
Bouffé par la fièvre immobilière le magasin a doucement disparu malgré quelques louables soubresauts. Il continue son chemin dans le fatras des Internet avec un site que je considère indigne de ce que fut le paradis de mon enfance. Et puis on ne peut plus enfouir son nez dans les nounours, soupeser cette carabine en bois, glisser sa main dans cette marionnette, ou faire tourner ce carrousel. Nous n’irons plus au Nain Bleu mais nous y surferons. Par moment, je ne suis pas fâché de ne plus jouer à la poupée.
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