[le papjé riɡòlo] (marq. dép. PHARMA.)
Ma grand-mère souffrait parfois d’asthme (ou d’un truc du genre qui la faisait respirer difficilement). Loin de m’affecter, son affection me faisait franchement rigoler. Non que je souffrisse d’un quelconque penchant misanthropique, pas plus que je cherchasse à bénéficier de toute forme d’héritage bien avant l’heure, mais son inflammation des bronches annonçait la prescription par son bon vieux médecin de famille de ce qui ne s’appelait pas encore l’industrie pharmaceutique avait créé de plus hilarant. Et soigner par le rire c’est important.Le remède qu’elle devait appliquer portait un nom devenu suranné souriant : le papier Rigollot. Bien entendu j’entendais rigolo. Et de rigoler qu’un papier rigolo puisse guérir, quoi que mes écorchures suite à chute de vélo¹ se soignassent alors au mélange eau et sucre et mes chagrins au bisou magique. Il y avait après tout une logique dans cette pharmacopée dont je ne m’offusquais pas qu’elle puisse être réalisée à base de bave de crapaud ou de papier Rigollot.
Le papier Rigollot, cataplasme à base de farine de moutarde noire déshuilée avait été inventé en 1866 (année surannée) par Paul Jean Rigollot, apothicaire de son état, dont je mesure avec le recul combien il dut souffrir dans la cour de l’école et vraisemblablement jusqu’à son oraison. Passer pour un rigolo est déja compliqué (je sais de quoi je parle) aussi je n’ose imaginer ce qu’il advient lorsque l’état civil nous inscrit Rigollot.
Notez qu’il transmit son fardeau à un nombre important d’habitants de sa ville puisqu’aujourd’hui à l’emplacement de son ancienne usine de cataplasmes de Fontenay-sous-Bois se trouve le carrefour des Rigollots². Et je n’y peux strictement rien si on y trouve un bar, une banque et une pharmacie.
Le papier Rigollot me faisait bien marrer, donc, et je peux confesser une certaine impatience à l’approche de l’hiver, des foins ou de je ne sais quelle cause d’allergie chronique, afin que mamie tousse et que j’entende prononcer par l’homme au stéthoscope le nom du sinapisme. Même la boîte jaune et plate du papier Rigollot avait un air suranné que j’aimais bien.
Ce remède de grand-mère (ainsi est-il puisqu’il soignait ma grand-mère) me donna une vision sympathique de l’art de mélanger farine de moutarde, herbes, fleurs, terres, sèves et que sais-je encore pour créer onguents, pommades, baumes, embrocations, emplâtres, tous possédant une fonction réparatrice que seuls pouvaient concocter de vieux hommes en blouse blanche ou des sorciers indiens.
Même s’il semble exister encore le papier Rigollot est sur les étagères surannées des pharmacies aux devantures en bois. Les hypermarchés de la santé au prix spécial-moins-50%-sur-la-crème-qui-fait-rajeunir ne sont pas là pour nous faire rire. La maladie se traite avec sérieux mon brave monsieur et ce n’est pas en rigolant que vous vous remettrez. Pas rigolote cette drôle d’époque.