[le kwid] (n. prop. ENCYCL.)
Bien avant les Internets le savoir de l’espèce humaine était contenu dans d’étranges blocs de matière papier que les anciens dénommaient « livres ». Parmi ces livres, certains avaient pour tache précise de collecter, de définir et de rendre compte des mots et des idées. On parlait alors d’encyclopédie ou de dictionnaire.Des années surannées 1751 à 1772, deux écrivains-philosophes-mathématiciens-touche-à-tout, Diderot et D’Alembert, entreprirent de rédiger la première Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, modeste bréviaire de 17 volumes de textes, 11 volumes d’illustrations et 71 818 articles qui allait marquer le savoir pendant plus de deux siècles. Jusqu’en 1963 exactement¹.
Car c’est en cette année surannée elle aussi que Dominique et Michèle Frémy créèrent le Quid. Quid en latin signifie « quoi » (je précise pour ceux qui ont oublié leurs humanités) et ce titre était à lui seul déjà une trouvaille. Il sous entendait que toute question sur le « quoi ? » (et accessoirement le « comment » voire le « pourquoi ») trouverait sa réponse dans le Quid. « Tout sur tout… et un peu plus que tout » nous clamait-il d’ailleurs, et le bougre n’avait pas tort.
Enfin… parfois il nous en sortait tout de même des pas piquées des hannetons : statistiques plus ou moins fantaisistes, thèses négationnistes, le Quid se fit plus d’une fois taper très fort sur les doigts pour un certain manque de rigueur dans les informations publiées avec le plus bel aplomb². Ça aurait pu le bannir des étagères mais les lecteurs lui pardonnaient ces écarts d’adolescence et le Quid devenait ainsi d’année en année le cadeau de Noël quand on n’avait pas d’idée, le cadeau de fête des pères quand on n’avait pas d’idée, le cadeau d’anniversaire quand on n’avait pas d’idée, le cadeau à la belle-mère quand on n’avait pas d’idée (légale, j’entends).
Pour ceux qui n’avaient ni les moyens ni la forfanterie d’aligner tous les tomes de l’Encyclopedia Universalis dans la bibliothèque en merisier achetée chez Monsieur Meuble, le Quid était la garantie morale de leurs conversations de fins de repas (« J’te dis que j’lai lu dans le Quid ») en sus des sélections du Reader’s Digest. Les éditeurs du Quid avaient le sens esthétique de leur époque et nous offraient chaque année une couverture colorée qui dessinait aux côtés de ses aînées un motif bigarré qu’Arlequin n’aurait nullement renié. Avec le gros logo RTL au milieu de la tranche c’était du meilleur goût. Je me souviens de Björn Borg en photo sur la tranche du Quid 1983 (il avait arrêté le tennis depuis un ou deux ans), de Coluche sur celle de 1987 (l’enfoiré s’était cassé un an plus tôt), de Claude François sur un improbable fond jaune laiteux qu’on doit pouvoir dater de la fin des années 70.
Le savoir collectif numérisé et gratuit brisa net la nuque du Quid. En l’an 7 de ce moderne troisième millénaire les rotatives qui l’imprimaient depuis plus de quarante années cessèrent donc de tourner. Le Quid tenta bien un baroud avec son quid.fr mais les questions que se posaient désormais les ignorants fouillant frénétiquement les Internets trouvaient réponse ailleurs que sur cet ancien roi du papier. Le Quid manqua le virage numérique, quitta la route et sans que personne ne s’en émeuve plongea dans le ravin des surannés. Une page de site inaccessible nous en fait part sans ménagement.
Quelques Quid calent encore des armoires branlantes dans des maisons que l’on dit de campagne, d’autres sont habités par des nichées de musaraignes dans des caves ou des greniers, mais aucun ne délivre plus sa parole qui faisait du moindre de ses lecteurs un savantasse d’opérette.
À toutes fins utiles notons aussi que l’Universalis l’a rejoint en exil. Son cuir de bonne facture n’a pas résisté lui non plus.