[le sak ÿès] (n. com. WWII)
Lorsque les GI débarquèrent sur Omaha beach et Utah beach en ce mois de juin 44, fusil M1 en main et musette M36 sur le dos, le look à la cool n’était pas vraiment leur préoccupation première, trop occupés qu’ils étaient à éviter les balles ennemies qui en voulaient à leur vie. Ça se comprend.
Et pourtant, cools ils l’étaient. Et pas uniquement parce qu’ils allaient nous délivrer du mal, nous apprendre le chewing-gum et le Coca-Cola, mais surtout parce qu’en échange d’une fricassée de museau au premier bal musette ils allaient nous la laisser, la musette. La musette M36 dont il est fait mention princeps.
La M36 était faite de toile kaki¹, comme il se doit en mode militaire, une large pochette à l’arrière et une autre plus petite sur le côté, et contenait le nécessaire du parfait para largué sur Sainte-Mère-Église ou plus loin : trousse de toilette, rations K, ration D de survie, tricot de peau, etc. Bien loin du classeur et du cahier de texte qu’elle accueillerait quarante années plus tard lorsqu’elle serait devenue sac US.
Must have des années lycées désormais surannées, le sac US est tout autant indispensable à l’adolescent en pull grosse maille de 2nde B un jour de bacho qu’au troufion de la 101st Airborne un D-day d’opération Overlord. Chacun l’a chargé de ce qui l’aidera à survivre dans le monde hostile qu’est le sien.
Il existe néanmoins des divergences marquantes sur le sens esthétique déployé par l’objet, porteur pour les uns de la rigueur militaire qui n’aime guère voir une tête dépasser, emblème pour les autres d’une créativité personnelle qui s’exprime au marqueur, au pochoir, au badge ou encore à l’écusson.
Oui le sac US se doit d’être travaillé pour envisager une entrée au lycée. Les plus communs auront ajouté un TR devant l’imprimé réglementaire US qui signe le rabat, et un second T derrière le même signe. « Antisocial tu perds ton sang froid » nous mugit en effet Bernie Bonvoisin sur des riffs de Nono Krief, piliers révoltés de Trust qui permettent aux rebelles d’Henri IV de se croire anarchistes en trois lettres ajoutées, eh oui la révolte est ainsi en ces années Giscard. Avec un AC/DC au Tipex et un badge de Police épinglé de travers, un A dans un rond comme les punks du Gibus, on est au top.
Bien entendu des esthètes se dégagent avec de plus mystérieux et sélect Asphalt Jungle, Starshooter, Taxi Girl, mais ces noms ne s’apposent que sur sac US élimé jusqu’à la corde et sont globalement réservés à ceux qui se foutent-du-bac-parce-que-de-toute-façon-c’est-no-future-mec².
Le sac US s’achète aux Puces pour quelques francs, ce qui déplait évidemment aux marketeurs qui vont tout faire pour l’envoyer rejoindre les reliques surannées de la guerre de Pépé. Des marques scélérates que nous ne citeront pas débarquent à leur tour, mais cette fois dans la cour. Leur cible n’est pas l’ordre barbare comme pour ceux qui portaient sac US mais bien le porte-monnaie.
En moins de temps qu’il ne faut à un sergent de la 82nd Airborne pour gagner un baiser auprès d’une Parisienne libérée, ces sirènes aux exploits apocryphes racontés à grands renforts de publicités vont faire se ranger le sac US au grenier, et ravaler sa rage à Bernie.
Antisocial, antisocial, antisocial, antisociaaaaal… c’est suranné.