[lé trât-sis rèzô darlekê] (loc. nom. COMMED.)
Du classique et éventé « J’ai rendez-vous chez le dentiste » au tellement gros dont on se dit qu’il ne peut que passer « J’ai été enlevé par des extraterrestres » en passant par un beaucoup trop technique pour être honnête « La tête de Delco a coulé une bielle à cause de l’arbre à came désynchronisé de la courroie de transmission », fleurissent depuis toujours les motifs fallacieux destinés à excuser un retard, une absence.
Le plus grand des experts en matière d’excuses bidons a légué son prénom à la postérité pour les condenser en trente-six raisons d’Arlequin.
Le personnage de la commedia dell’arte né au XVIᵉ siècle en Italie puis ayant vécu de belles années chez Marivaux où il deviendra un peu moins benêt et plus subtil sur son état de valet servile, était en effet le meilleur pour excuser les absences de son maître. Sans que les lettrés qui n’ont pas lu toute l’œuvre allant des Compositions rhétoriques de M. Don Arlequin (1572) au Fausses Confidences (1737) ne puissent préciser dans lequel des nombreux opus faisant vivre le bouffon on trouve ces raisons en question, les trente-six raisons d’Arlequin est depuis la nuit des temps surannés l’expression consacrée pour la dérobade à deux balles.
Combien d’élèves de 6ᵉB espérant éviter un contrôle de mathématiques, combien de contrevenants à l’un des codes (civil, pénal, de la route…) espérant la magnanimité d’un juge se sont essayés à produire l’une ou l’autre des trente-six raisons d’Arlequin ? Combien de traces de rouge à lèvres sur une chemise sont devenues des tu-vas-pas-le-croire-mais-c’est-Marcel-ce-con-qui-m’a-fait-une-blague-pendant-le-pot-de-départ-à-la-retraite-du-responsable-de-la-photocopieuse-mais-si-tu-sais-je-t’en-ai-déjà-parlé ?
Pendant les années surannées, pour les trente-six raisons d’Arlequin c’est le carton plein. Une chanson leur est même consacrée en 1976, signe d’une réussite exceptionnelle, lorsque Alain Souchon partage ses mésaventures féminines avec Bidon¹.
Parties trente-six, les trente-six raisons d’Arlequin se voient quarante-trois mille deux cent quatre-vingt-douze une fois arrivées à l’orée de la modernité où elles vont finir par sombrer.
C’est tout d’abord le fameux « En raison de difficultés rencontrées lors de l’acheminement du personnel, le RER B aura un retard de vingt minutes » – dont chacun sait bien qu’il cache un conducteur ayant eu une panne de réveil² – beaucoup trop utilisé, qui va mettre la puce à l’oreille du moderne. Et c’est surtout le tellement commun « Je ne t’entends plus, je rentre dans un tunnel » qui ne bernerait même pas un vieil usagé des P&T avec téléphone à fil et cache téléphone en velours, qui va donner le coup de grâce aux trente-six raisons d’Arlequin.
Arlequin inventeur d’alibis avariés va ranger son costume bariolé. Désormais il ne dit plus que la vérité, et c’est bien.