[avwar sé lètre de krakòvi] (loc. verb. KRAKÓW)
Le fourbe, le félon, le menteur existe depuis la nuit des temps¹. S’il s’épanouit particulièrement bien dans la modernité et ses diverses formes (l’entreprise par exemple, mais ceci est une autre histoire), le tartufe trompeur était aussi présent au temps dit suranné, et possédait ainsi une bien (trop) belle expression pour faire sa description.
Du charlatan, nos grands-aïeux disaient qu’il avait ses lettres de Cracovie. La voïévodie de Petite-Pologne abritait-elle dans les bas-fonds de sa capitale un nombre remarquable de fieffés fielleux ? Aucune étude ne semble le prouver. Et le fait que ses habitants croient dur comme fer que leur cité fut un jour fondée sur l’antre du dragon du Wawel suffit-il à en faire des conteurs de malice ? Pas plus que ceux de Rome et leur légende lupesque ou ceux de la cité phocéenne et leur abracadabrantesque histoire de mariage entre Gyptis et Protis.
Il se dit qu’on utilise avoir ses lettres de Cracovie en référence à l’arbre de Cracovie qui trônait au Luco, sous les feuilles duquel venaient messe-basser ou proclamer tous les intrigants Parisiens, bonimenteurs et hâbleurs de service jurant sur leurs grands dieux leurs intentions louables. Pas plus Polonais que qui que ce soit (si l’on excepte les temps où certains étaient soûls comme des Polonais pendant qu’ils venaient proférer leurs menteries), ces faussaires venaient surtout pour raconter des craques, ce qui aurait pu donner naissance au Cracovie qui nous occupe ici.
Quelle que soit la légende, avoir ses lettres de Cracovie c’est bien être reconnu comme un menteur de premier rang, un Pinocchio en chef en quelque sorte. Il est à noter qu’une expression contraire reprend la même composition avec avoir ses lettres de noblesse.
En 1878, Paul Lacroix publie dans son XVIIIᵉ Siècle Lettres, Sciences et Arts, paru chez Firmin-Didot et Cie, un arbre de Cracovie sous lequel il pose un cabaretier qui ne frelate point, un marchande qui vend en conscience, un maquignon véridique, un poète sans prévention, un abbé qui ne minaude point, un petit-maître modeste, une danseuse qui ne fait point de faux pas, une serveuse champenoise sage, un Gascon opulent, un astrologue qui voit clair, un peintre sans caprice, un musicien sobre, un caissier humble et poli, des nouvellistes sans partialité, un architecte habile sans être guindé, un graveur sans contrefaction, des filles toujours vraies, un écolier assidu à l’école, un intendant de maison qui a les mains nettes, bref autant de fourbes professionnels heureusement disparus aujourd’hui.
Qu’il est plaisant de vivre dans une modernité honnête et apaisée où personne n’a plus ses lettres de Cracovie.