[lòrlòZ parlât] (n. fem. TOP. TOP. TOP. TOP.)
Ernest Esclangon est un grand homme. Non seulement parce qu’il était astronome, grand observateur des planètes et des comètes, mais aussi mathématicien capable de vous parler des heures durant des solutions périodiques de certaines équations fonctionnelles¹, mais surtout président du Bureau international de l’heure².
C’est en cette qualité, vraisemblablement fatigué par la sempiternelle blague « Eh Ernest, t’as pas l’heure ? » qui lui était adressée des dizaines de fois par jour dans l’omnibus, au bistro, au théâtre, dans les dîners, qu’il lance le 14 février 1933 un outil diabolique de précision (technologie du tube à vide) prêt s’engager sur la voie du comique de répétition : l’horloge parlante.
Heures, minutes, secondes sont enregistrées par Marcel Laporte, dit Radiolo, un type qui parle dans le Poste Parisien et qui déclame alors de sa voix majestueuse qu’au quatrième top il sera exactement dix heures, trente-sept minutes, trente secondes, top, top, top, top. Et ainsi de suite.
Le succès est immédiat. Cent quarante mille coups de téléphone le premier jour à Odéon 84 00 ! À une époque où le bigophone passe par Turbigo, Médéric, Odéon ou Port-Royal c’est un carton. L’horloge parlante devient célèbre et de nombreux pays envieux s’empressent de la copier.
Pour l’enfant suranné lassé par la dimension comique des parties de sonnettes et les descentes sur rampes d’escalier sans se faire attraper par la concierge, l’horloge parlante brille comme une source inépuisable de dialogues hilarants. Il se dit d’ailleurs que c’est de ces dialogues que procèderont toutes les blagues téléphoniques des années à venir.
Le plan de développement des P&T mis en place par le président Pompidou fera de « Bonjour Monsieur, quelle heure est-il ? Dix neuf heures, quinze minutes, trente secondes. Bonjour Monsieur, quelle heure est-il ? Dix neuf heures, quinze minutes, quarante secondes. Bonjour Monsieur, quelle heure est-il ? Dix neuf heures, quinze minutes, cinquante secondes. » l’un des ressorts comiques les plus appréciés par cette jeune génération découvrant sans le savoir combien la modernité peut être rieuse.
Des variantes telles que « Papa, c’est quelqu’un pour toi » (rappelons-le, il n’existe alors qu’un seul téléphone par foyer, posé sur une console dans l’entrée et généralement recouvert d’un superbe cache téléphone en velours) aboutissant à faire se déplacer le paternel qui s’entend alors proposer qu’il soit dix-huit heures, trente cinq minutes et quarante trois secondes, voient aussi le jour pour le plaisir de tous. Oui, en ces années surannées on peut se marrer tout simplement parce qu’il est l’heure.
Modernité des mœurs oblige, en 1991 ce n’est plus une voix masculine qui indique le temps qui passe mais une voix féminine et une voix masculine en alternance. Sans qu’il y ait de lien prouvé, on appelle moins l’horloge parlante. Concurrencée dans son ultime précision au 1/20e de seconde par la montre à quartz, le bip horaire des radios, l’affichage numérique des fours à micro-ondes et les retards de la SNCF, l’horloge parlante tombe en désuétude.
On ne l’appelle plus guère, un peu comme une grand-mère qu’on adorait ou un amour qu’on chérissait mais pour lequel on n’a désormais jamais le temps.
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