[o ljô dòr] (n. RUGI.)
Le calembour est par essence le trait d’esprit prisé du chansonnier du XIXᵉ siècle.
Suranné donc, car il ne vous aura pas échappé que l’interprète de chansons satiriques avait fané, remplacé par des comiques faisant leur travail debout et riant de leur propres blagues, impudeur outrancière que n’importe quel pétomane ne se serait jamais permis au temps du music-hall (mais ceci est une autre histoire).
Il est fort à parier qu’au lion d’or provienne d’une fulgurance créative de l’un ces professionnels du jeu de mots homophonique et polysémique se donnant en spectacle dans un café-concert du boulevard du Temple ou des Champs-Elysées. Il est aussi probable que c’est le manque d’études des caf’conc’ par diverses sociétés savantes de gens de lettres qui fait que ce que nous allons vous révéler en ces lignes pourra paraître iconoclaste. Mais nous ne mollirons pas.
Au lion d’or s’affiche fièrement sur tant d’enseignes d’auberges, d’hôtels, de pensions, de gargotes ou de gîtes qui accueillent le VRP en goguette ou le fêtard en tournée des grands-ducs qu’il mérite de connaître la vérité sur sa naissance.
Il apparait que, si elle offrait bien le couvert, l’auberge pour voyageur d’antan ne possédait pas nécessairement de lit. Eh oui mes amis, nous parlons d’une époque où le cavalier n’hésitait pas à dormir avec son cheval, que ce soit pour être certain qu’on ne le lui volerait pas, pour avoir chaud, ou pour toute autre raison ayant trait à l’intime que nous n’explorerons pas ici¹. Ce faisant, les établissements d’hostellerie proposant un bon lit – on dirait aujourd’hui les palaces – avaient pour coutume de l’écrire en gros : au lit on dort, devenant par la grâce boute-en-train évoquée ci-dessus au lion d’or.
Il se raconte aussi dans la légende des établissements de nuit dont les hommes à la clef d’or sont les gardiens farouches qu’au lion d’or proviendrait des remarques répétées de leurs ancêtres à l’égard de clients trop bruyants, au lit, on dort, sous entendant alors que les clients en questions s’étaient vus occupés nuitamment à d’autres activités que le simple sommeil… Possible.
Si les paradores ont fait vivre longtemps au lion d’or en gravant l’expression au fronton de leurs fières façades (accompagnant souvent les neuf lettres d’un rugissant animal à crinière), il faudra bien admettre qu’elle est devenue surannée, l’oreiller devenant un marché tenu par des enseignes sans bon mot : Four Seasons est tiède comme une tisane Nuit Tranquille, Radisson est un hommage à Pierre-Esprit Radisson, explorateur français (comme si séjourner dans un hôtel Radisson relevait de l’expédition en terre inconnue), Hilton n’est guère excitant², tout juste Formule 1 doit-il peut-être son nom au paddock et dans ce cas annonce-t-il la couleur sur le bruit qui y règne.
Les multinationales des marchands de sommeil ont tué au lion d’or : dans cette terrible jungle de la nuit tarifée le lion est mort ce soir. Et dire qu’il m’avait fallu quinze ans pour comprendre l’astuce.
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