[la mɛzɔ̃ pulaɡa] (gr. n. ARG.)
Même si depuis Charlie nous nous devons tous de bien aimer les flics ce n’est pas pour autant qu’il faut céder à la modernité et leur donner de l’acronyme quand il existe du suranné pour les nommer. Non mais des fois.
Nous l’avons déjà vu dans ces pages (et si ce n’est le cas faites un tour par le glossaire), l’argot nous charrie tout ce qu’il faut pour nommer suranné. Je me refuse donc aux BRI, BRB, GIGN, DOPC, DRPP, DRPJ et toutes ces lettres qui s’emboîtent plus ou moins benoîtement pour en rester à maison poulaga. Ça c’est du suranné qui nous vient d’autrefois. Du XIXᵉ siècle, 1871 pour être précis quand la préfecture de police s’installe sur l’île de la Cité en lieu et place d’un marché aux volailles qui laissera traîner son aura galliforme jusque dans la dénomination qui nous intéresse aujourd’hui.
Dès 1900 le 36 quai des Orfèvres devient donc la maison poulaga (et ses occupants des poulets) tant pour ses détracteurs que pour ses laudateurs (le condé a de l’humour quand il veut). Peu familier des lieux je ne suis pas en mesure d’en authentifier cette qualité de basse-cour piaillante et désordonnée que laisse à supposer l’appellation mais il me plait à imaginer qu’il y règne une certaine agitation générée par la proximité des plus sombres et viles intentions de l’homme et de la chevaleresque attitude en charge de les faire cesser. Car c’est cela la maison poulaga, le respect de la loi, le maintien de l’ordre et la sécurité publique, la stature martiale et envoyez les couleurs !
Je me suis laissé dire par de vagues connaissances ayant fréquenté la maison en question dans des années désormais surannées que son entretien du quotidien laissait parfois à désirer, que son ménage était mal fait jusqu’à en posséder les escaliers les plus glissants qui soient, entraînant ce faisant d’inopinées gamelles de bien vilains méchants qui se couvraient ainsi d’ecchymoses. Une légende sans doute. Mais c’est bien sûr, à la maison poulaga on pratique l’interrogatoire à la chansonnette, pas celui au bottin. Mais si vous savez, la chansonnette et son refrain qui revient, qui revient, qui revient, et qui fait que le menteur ne sait plus vraiment comment il a menti et finalement se met à table. Les poulets sont devenus de bien rusés renards à force de picorer dans cette basse-cour.
La maison poulaga va bientôt s’effacer. Ses troupes vont rejoindre un building de béton et d’acier aux portes de Paname. Ce sera sécurisé, connecté, modernisé, blindé, surveillé, protégé. L’âme de Maigret, de Béru et de San Antonio suivront-elles aux Batignolles ? Et surtout, surtout, où ira-t-on chercher les sandwiches au jambon ?
Si se faire arrêter n’autorise même plus à visiter en VIP la maison poulaga, la vraie, celle du Quai des Orfèvres, je renonce définitivement à toute carrière criminelle. J’irai donc jusqu’à payer le stationnement. C’est dit.
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