[mâZé la kôsiN] (gr. verb. OUPS)
Amis bagagistes qui exercez un métier désormais suranné lui aussi, n’ayez crainte. Les lignes définitrices qui suivent ne louent aucunement les mérites d’un quelconque dévoreur de valises, ogre étrange qui se nourrirait de malle-cabine ou de vanity-case, mettant ainsi votre gagne-pain en péril.
Quand on dit manger la consigne c’est de l’ordre, hiérarchique en général, dont on signale la disparition par ingurgitation œsophagienne.
Si l’interlocuteur que l’on tance pour avoir oublié l’instruction¹ a des lettres (et des belles) il pensera un instant à Ne mangez pas la consigne, chef-d’œuvre du commissaire San-Antonio paru en 1961 qui laisse poindre les engagements de Frédéric Dard², mais ceci est une autre histoire. Manger la consigne c’est oublier ce que l’on devait faire et éventuellement faire n’importe quoi à la place, tout simplement.
Or pour garantir l’efficacité d’un plan, d’une action, du fonctionnement d’un quelconque truc avec des boutons qui clignotent et des compteurs à aiguille, il est préférable d’éviter de manger la consigne.
Quand à Tchernobyl les joueurs ingénieurs de la centrale Lénine mangent la consigne de sécurité du réacteur, ce sont les becquerels qui partent taquiner les thyroïdes à droite à gauche³. Quand Claude François mange la consigne – niveau cours de physique-chimie de CM2 – de ne pas jouer avec l’électricité dans son bain, ce sont les albums hommages massacrés par des braillards télé-réalistes qui fleurissent quelques années plus tard. On le voit, manger la consigne peut avoir des conséquences fâcheuses.
Bien entendu l’histoire regorge d’exemples contraires, de ces géniaux hasards ayant fait basculer une tarte aux pommes qui deviendra Tatin et délicieuse, d’une machine de la chocolaterie Delespaul-Havez qui se met à délirer et à produire les premiers Carambar… Dans ces cas, manger la consigne, oublier la recette, tordre l’ordre établi pour se rattraper aux branches, touche au sublime; mais dans ces cas uniquement.
Bardé de règlements dont les articles déclenchent des sirènes d’alerte stridentes dès qu’ils sont dépassés, le monde moderne n’a plus trouvé le moindre sens à manger la consigne et l’a donc envoyée prendre sa retraite dans les pages désuètes.
Errare ne peut plus être humanum puisqu’il n’y a qu’à suivre le process. Et on n’a jamais vu un process manger la consigne.