[mɑ̃ʒe de kotəlɛt] (THÉÂ. APPL.)
Contrairement à ce que le commun imagine c’est du talent et non de l’appétit qu’il s’agira de posséder pour manger des côtelettes. Et un peu plus que lors de douze minutes de cuisson s’il vous plaît car on n’est pas en cuisine mais sur scène.
Ce plaisir faux ami qu’on entend comme celui du gourmet l’est en fait pour le comédien qui aura brillé dans son interprétation d’un bourgeois gentilhomme ou d’un cocu des boulevards, peu importe, et que le public ovationnera longuement.
Manger des côtelettes (on devrait d’ailleurs dire déguster) c’est l’opposé de faire un four, même si celui-ci est nécessaire pour les faire rôtir :on parle ici du triomphe, pas du rappel poli. De ce tonnerre d’applaudissements, de ces hourras qui fusent, de ces donzelles qui se pâment, de ces fleurs qui font le grand saut des balcons aux planches, de ses filles nues qui se jettent sur moi qui m’admirent qui me tuent qui s’arrachent ma vertu, rien de moins. Autant dire qu’on est dans le nec plus ultra.
Les gazettes se feront l’écho du festin dès le lendemain, portant aux nues celui qui aura justement déclamé, celle qui aura atteint le contre-ut à propos. Quand on mange des côtelettes on reprend volontiers un peu de rab servi par Le Petit Journal, Comœdia, Le Matin ou Le Petit Parisien (le baladin est cabotin).
Le fumet de la bonne chère accompagnera longtemps le loué. Avoir triomphé dans Le Mariage de Figaro ou dans Tailleur pour dames ça vous pose son homme pour un bail.
Sans radiner sur les applaudissements quand le vaudeville lui sied, le moderne oubliera pour autant l’expression. Manger des côtelettes ne fait plus partie de son vocabulaire, pas même pour un aparté juste audible, un quiproquo à propos ou un chassé-croisé parfaitement synchronisé.
Désormais il lève ou abaisse le pouce, distribue des étoiles ou note sur 5. Et les gazettes ont disparu.