[mâZé dy lapê] (métaph. CIMET.)
Le lapin est certainement l’animal le plus populaire des expressions surannées tant il est mis à contribution par la langue d’icelles.
Poser un lapin, courir comme un lapin, vider un lapin, le mariage de la carpe et du lapin, être un chaud lapin, haut les mains peau d’lapin peuplent les conversations de tous les jours, laissant parfois s’immiscer parmi elle la plus délicate d’usage manger du lapin.
Manger du lapin trône sur la pyramide des sens cachés puisqu’elle ne signifie à aucun moment qu’il y aura du lapin à la moutarde ou du lapin aux pruneaux au déjeuner. Manger du lapin noue même l’estomac puisqu’il s’agit ici de se rendre à un enterrement. Étrange utilisation de l’animal aux longues oreilles.
Encore plus curieusement, on trouve dans le champ des synonymes de manger du lapin ce manger du fromage¹ qu’on peut aisément imaginer dégusté après le lapin, un repas sans fromage étant un repas raté (mais ceci est une autre histoire).
Quand on accompagne un vieux copain au Père Lachaise on mange donc du lapin sans véritablement savoir pourquoi; peut-être le chagrin a-t-il voulu cacher ses larmes sous l’incompréhensible, peut-être l’image a-t-elle une relation avec le fait que les carottes sont cuites. Aucune étude ne permet de répondre.
C’est donc sans explication satisfaisante pour le chercheur que manger du lapin va prendre sa place chez Borniol et ses confrères, et imposer son protocole pénible dont la durée est censément équivalente à la grandeur du défunt. Quand on mange du lapin pour feu un puissant c’est crêpe sur les femmes, défilé de la Garde républicaine et discours aux Invalides, quand on mange du lapin pour un indigent c’est vite fait bien fait au fond du trou.
Dans le monde moderne on ne plaisante pas avec la mort, surtout quand elle représente un marché annuel de plus de deux milliards et demi d’euros.
Le 8 janvier 1993, à l’ouverture des pompes funèbres à la concurrence, manger du lapin est priée de revenir à un peu plus de décence et de s’effacer pour laisser passer le cortège des professionnels. Le plus beau des marchés, puisqu’il compte 100% de clients parmi la population (dont 100% satisfaits, un record), ne va pas se laisser ridiculiser par une expression incompréhensible ! Enterrement de première classe pour manger du lapin qui devient ainsi surannée.