[marké siz ër é demi] (loc. hor. BIT.)
Ceux que la nature a fait « du matin » ont longtemps contesté que l’expression marquer six heures et demie puisse être utilisée pour décrire un état inverse à celui d’avoir l’aiguille à midi, arguant, un peu fanfarons, de leurs dispositions avantageuses à l’heure dite.
Quels que soient leurs arguments ils n’ont pas été reçus par le langage suranné lorsqu’il a créé marquer six heures et demie. La chose est claire : à midi les aiguilles sont fièrement dressées vers l’astre solaire quand à six heures et demie elles pendent lamentablement vers la terre.
À cette heure matinale qui a certes vu Paris s’éveiller depuis plus d’une plombe¹, l’homme sommeille ou peine à se lever mais en aucun cas il n’est déjà au garde-à-vous, hardi petit. Même en cas de TPN², mécanique phénomène sur lequel les savants s’échinent encore, à six heures et demie il est six heures et demie, et pas une minute de plus.
Marquer six heures et demie désigne avec subtilité l’engourdi du gourdin à toute heure du jour et de la nuit, le babilan en berne de cinq à sept, le lézard du Popaul. Une pudeur horlogère qui l’honore car le blâme guette quiconque serait chargé publiquement d’être mou comme un sybarite quand il s’agit des choses de la vie.
Synonyme de faire queue de rat, marquer six heures et demie suivit logiquement le même chemin vers l’oubli. Ce n’est cependant pas l’invention d’une certaine pilule bleue qui poussa l’expression en surannéité mais une toute autre élucubration moderniste visant à « simplifier la lecture du cadran des montres et horloges ».
Comme par provocation, c’est en 1969 qu’est commercialisée la première montre à affichage numérique avec ses sept segments rouges permettant d’afficher n’importe quel chiffre, au grand soulagement de tous ceux pour qui distinguer la petite de la grande aiguille relevait de l’exploit. Les diodes électroluminescentes seront elles aussi rapidement remplacées par des cristaux liquides qui conserveront l’idée des chiffres à afficher, mais ceci est une autre histoire.
L’affichage ne laissant aucun doute va donc s’imposer, faisant oublier les aiguilles qui pointent vers le bas quand elle marquent six heures et demie. Une victoire de la technologie qui soulagera tout autant les écoliers patinant entre le quart et le moins le quart, que les impotents bloqués sur la demie.
Il n’y a guère que les montres-bracelet à complications qui se souviennent encore de marquer six heures et demie au moins deux fois par jour (si tout va bien).