[mètr a la sos pikât] (loc. culin. RAGO.)
Quand les serpents sifflent sur nos têtes, quand les commères taillent la bavette et des costards qui rhabillent pour l’hiver le premier capitaine de bateau-lavoir venu, le juste verbe impose d’utiliser mettre à la sauce piquante pour camper le propos.
Le persiflage est si proche de l’art culinaire dans son dosage subtil des silences entendus et des sous-entendus qu’il a paru évident aux créateurs du langage suranné d’épicer l’une de ses expressions et d’en napper généreusement les médisances.
Quand on met à la sauce piquante on balance en effet du dossier, du lourdingue, du graveleux, on élève le ragot du quotidien au niveau d’un doro wat dégusté dans un boui-boui d’Addis-Abeba (ou d’un kebab sauce samouraï à Répu si tu préfères, ami djeuns’). Avec mettre à la sauce piquante on est dans du 8-méthyl-N-vanillyl-6-nonénamide (capsaïcine) à l’état brut, du qui-fait-pleurer, du qui-rend-aveugle et qui éloigne les prédateurs pour cause d’haleine de saint Colomban.
En cuisine comme en clabaudage, c’est du maître saucier que dépend la réussite de l’opération. L’assaisonnement doit arracher les papilles et saturer le système jusqu’en haut du nez pour être digne de l’expression.
Piquée par les piments, la langue se dote en l’année 1912 de l’échelle de Scoville¹ (inventée par Wilbur Scoville, apothicaire à Détroit de son état) afin de mesurer convenablement ce qui chatouille réellement et ce qui arrache carrément. Ainsi le cancan de voisinage s’apparente-t-il à une sauce au paprika doux (100 à 500 sur l’échelle de Scoville) et le scoop sur mœurs dissolues d’un puissant vaut-il les 100 000 à 500 000 du piment habanero mexicain.
Dès 1672 le Mercure Galant avait commencé à mettre à la sauce piquante en promettant dans ses pages que « les curieux des nouvelles et les provinciaux et les étrangers qui n’ont aucune connaissance de plusieurs personnes d’une grande naissance ou d’un grand mérite dont ils entendent souvent parler apprendront dans ce volume, et dans les suivants, par où ils sont recommandables et ce qui fait estimer »², lançant une course à l’échalote qui s’arrêtera brusquement sur le treizième pilier du pont de l’Alma le 31 août 1997.
La mort d’une princesse poursuivie par ceux qui entendaient mettre à la sauce piquante ses amours prohibées scellera le destin de l’expression.
Les agissements consistant à bafouer l’intimité, à calomnier histoire qu’il en reste quelque chose (à monnayer), devront se chercher d’autres locutions pour bien assaisonner.
Ils y parviendront assez vite, mais ceci est une autre histoire.