[mètre léz- ékyrëj a pjé] (gr. verb. ARBR.)
Oh ! Quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule !
Ainsi parlait l’immense Victor Hugo du poète Théophile Gautier lors de ses obsèques en 1872. Un siècle plus tard Malraux se servira des chênes qu’on abat pour titrer ses entretiens avec le Général de Gaulle, rejoignant Idéfix dans la célèbre trilogie des personnages sensibles à l’abattage des arbres. Oui mes amis, Victor Hugo, André Malraux et Idéfix avaient ceci en commun qu’ils étaient tous trois de farouches militants de la cause arboricole, et ce bien avant l’heure moderne des indignés professionnels et militants superficiels.
Aucun de ces trois êtres, amoureux du vivant, n’aimait mettre les écureuils à pied. Les bûcherons et leurs ahanements virils les irritaient, le son strident de la scierie ne leur seyait jamais et le craquement lugubre du vieil arbre qui tombe les rendait renfrognés. Ne me dites pas que les colères d’Idéfix dans Le Domaine des Dieux ont pu vous échapper ! Et ce poème du romantique, vous l’avez su, je sais. Quant à Malraux, bien entendu vous l’avez lu.
Mettre les écureuils à pied, à la surannéité douce et altruiste, est une expression qui date du XIXᵉ siècle, époque à laquelle l’exode rural n’a pas encore chassé l’homme de la nature nourricière pour d’obscures raisons de confort moderne et de wifi, et où l’écureuil roux batifole sans vergogne sur les troncs et les branches de son marronnier préféré. En ce temps suranné on se souvient encore des arbres sacrés, de celui de la connaissance du bien et du mal, et de celui de vie; on n’a pas oublié les druides celtes et leur culte des chênes, on a lu la Kabbale et l’arbre séphirotique. Aussi quand on doit mettre les écureuils à pied parce qu’il faut se chauffer ou poser une charpente on le fait dignement et on le dit avec respect.
L’impudent et espiègle rongeur roux va devoir s’éclipser ou accepter de dormir dans une cage car voici que s’avance la tronçonneuse moderne ! Le massacre va pouvoir commencer. En un siècle dit XXᵉ, c’est la moitié des forêts de la planète que le contemporain va débiter en stères¹ et ainsi mettre les écureuils à pied sur tous les continents. Et les orang-outangs parce q’une envie de pâte à tartiner ça n’attend pas. Et des tribus entières parce qu’elles n’avaient qu’à accrocher leurs hamacs ailleurs que sur ces branches.
Mettre les écureuils à pied s’est enfuit loin du vocabulaire parce qu’il fallait faire de la place et ne conserver d’arbre que sur celle du village. L’expression a dû avoir peur du grognement des machines, des cours boursiers du teck. Aujourd’hui on dit aligner, défricher, déboiser mais plus jamais mettre les écureuils à pied. La bestiole a d’ailleurs disparu elle aussi, préférant devenir économe.
J’aimais bien les écureuils facétieux qui se poursuivaient en tournant sur le tronc. Dans la cour il y avait un arbre. Ceux qui ont acheté la maison de mes aïeux l’ont coupé. Mon grand-père s’était éteint sous ses branches en contemplant les étoiles. Ces ignorants ont abattu un chêne et mis les écureuils à pied.