[mètre dy lêZ syr lé salsifi] (gr. verb. GAN.)
Tout populaire qu’il est le langage suranné n’abîme rien, bien au contraire. Certes des malotrus chaussant leurs gants de boxe voudront argumenter pour nous faire croire que l’expression que voici salit le geste qu’elle décrit. Eh bien nous relevons ce gant pour démontrer, à contre-pied, qu’elle fait honneur aux bonnes manières même si c’est avec truculence et gros sabots.
Que ce soit pour des gants à crispin, de soie ou de velours, de cuir épais ou fin, le suranné dira mettre du linge sur les salsifis pour décrire leur enfilage. C’est imagé mais tout a une explication rationnelle ici-bas; la voici.
Dits aussi doigts de morts, les salsifis décrivent donc la blancheur qui est de bon aloi pour les paluches mignonnes, à une époque où le bronzage ne hâle pas encore les dominants et est plutôt l’apanage du labeur et des mains sales et rugueuses¹. Les modes changent et il vaut mieux désormais être tanné pour être apprécié, mais ceci est une autre histoire.
Quoi qu’il en soit, la racine immangeable (ne me dites pas que vous appréciez les salsifis) demeure synonyme de doigt et mettre du linge sur les salsifis se développe avec le savoir-faire des maîtres gantiers parfumeurs. Catherine de Médicis (1519-1589), grande prêtresse de la mode des gants parfumés qui n’aimait pas qu’on puisse penser qu’elle avait du sang sur les mains², aurait pu dire elle-même qu’elle mettait du linge sur les salsifis mais les documents l’attestant ont malheureusement tous été détruits. Nous ne lui donnerons pas la maternité de l’expression, elle qui pourtant avait une main de fer dans un gant de velours.
De fil en aiguille, mettre du linge sur les salsifis s’utilisera sereinement à Saint-Junien, à Millau, à Niort ou à Caudebec-en-Caux, villes de gantiers qui tannent chevreaux et agneaux pour faire de leur peau des accessoires indispensables pour le quotidien de ceux qui protègent leurs mains ou pour la cérémonie de ceux qui protègent la vertu.
Attention : mettre du linge sur les salsifis ne se fait pas dans n’importe quelles conditions, de même que se déganter nécessite quelques notions de bienséance. Nous nous contenterons ici de rappeler qu’une femme garde ses gants dehors, mais les ôte en intérieur, à moins qu’il ne s’agisse de longs gants de soirée (pour les plus curieux : oui, de tous types de soirées). Une femme se dégante dans la rue pour serrer la main d’une femme plus âgée si celle-ci n’est pas elle-même gantée. Un homme se dégante toujours pour saluer une femme, et, s’il serre la main d’un homme, le plus âgé donne le ton. Il peut donc être conforme aux règles du savoir-vivre de se serrer la main gantée, eh oui. Nous n’encourageons cependant pas cet usage même s’il faut dire que l’empoisonnement à l’aide de bagues pointues enduites de quelconque venin est largement tombé en désuétude depuis Catherine de Médicis, et que deux hommes ayant mis du linge sur les salsifis ne souhaitent pas obligatoirement s’occire sournoisement.
Nota bene : dans le cas des sports gantés, les sportifs ne se dégantent pas pour se saluer. Même si les boxeurs, eux, ont une certaine velléité conflictuelle, l’arbitre se contentera de vérifier que leurs gants ne sont pas lestés.
Mettre du linge sur les salsifis ne s’applique pas aux gants de toilette, qu’ils soient avec ou sans pouce, et son utilisation concernant les mitaines fait grand débat chez les spécialistes. En cette docte encyclopédie nous considérerons qu’on ne peut user de mettre du linge sur les salsifis dans ce dernier cas à l’exception notable des gants de conduite. Toutes mitaines qu’ils soient, on pourra dire en enfilant ces accessoires nécessairement assortis à son véhicule ancien qu’on met du linge sur les salsifis.
Une bataille de salsifis mémorable qui eut lieu en l’école Jean Macé dans les années surannées³ sonna les cloches aux belligérants, le glas de la recette de l’immonde légume, et bien entendu empêcha l’utilisation de mettre du linge sur les salsifis pour la période moderne qui suivit. Son sens venait de s’écrabouiller au plafond, sur les murs et, malheureusement, sur la veste du directeur : nous venions de mettre au sens propre du linge sur les salsifis. Ou l’inverse.
Peu importe, nul n’osa plus jamais la prononcer.