[mètre la vjâd dâ le tòrSô] (loc. bouch. DODO.)
Jambier, j’veux deux mille francs, Jambier, 45 rue Poliveau ! pourrait passer aux yeux du profane en expressions surannées pour la mise en scène de mettre la viande dans le torchon. Il n’en est rien.
Malgré son histoire de cochon soigneusement emballé pour pouvoir rejoindre la rue Lepic depuis le Vᵉ arrondissement sans se faire attraper par la patrouille barbare, La Traversée de Paris n’est pas l’illustration de l’expression bouchère, bien au contraire. Mieux vaut ne pas se mettre au lit trop vite et éteindre la lumière (ce que propose mettre la viande dans le torchon) quand on fait dans le marché noir.
Bien que provenant de toute évidence du langage imagé des garçons bouchers, mettre la viande dans le torchon n’est pas du largonji des louchébems. C’est là une étrangeté que les chercheurs en surannéité ont bien du mal à expliquer. Que ces solides gaillards aient laissé au français courant cette expression désignant le fait d’aller se coucher dans ses draps, alors même qu’ils détenaient tous les ingrédients pour la conserver jalousement, demeure à ce jour un mystère, laismouille lecicoc est une lautreè listoirehè.
Mettre la viande dans le torchon fait partie de la longue liste des expressions biologiques, c’est-à-dire liées au rythme circadien de l’être humain, parmi lesquelles on retrouve être chaud patate (qui correspond au moment où la pression sanguine est la plus élevée), changer l’eau des olives (réactivation de l’intestin et de la vessie), être porté sur l’article (forte hausse de la pression sanguine), etc. Autant de cas qui illustrent une conception utilitaire et peu sophistiquée du corps humain qui pourra donc facilement devenir un simple morceau de barbaque à rouler dans un tissu lorsqu’il est l’heure d’aller au cinéma des draps blancs.
Notons qu’une version rustique connue sous les termes de mettre la bidoche dans la touaille sera signalée dans certaines régions de France mais elle ne s’imposera pas, certainement jugée beaucoup trop familière.
La fermeture des abattoirs de La Villette, le 15 mars 1974, va rendre surannée mettre la viande dans le torchon.
C’est désormais au supermarché que le moderne doit se procurer une viande sous cellophane et pas question de déroger aux règlements 852/2004 et 853/2004 et de la mettre dans le torchon sous peine de sanctions. Pas question non plus de hurler Jambier, Jambier, Jaaammmbier au beau milieu de la nuit sous peine d’autres sanctions : il y a des gens qui dorment, un peu de silence s’il vous plaît !