[minitɛl] (acron. TECHNO.)
Une des dates clefs dans l’histoire surannée est liée à l’avénement de la technologie de l’HyperText Transfer Protocol appliquée aux méandres entoilés du World Wide Web et concomitamment à la disparition du Médium interactif par numérisation d’information téléphonique. La chose est simple : si tu as manipulé l’un tu es suranné, si tu ne connais que l’autre (et que ta préoccupation première en accédant à un lieu est de connaître le code du wifi) tu es moderne. Pas compliqué pour une fois.Médium interactif par numérisation d’information téléphonique ça sonnait un peu technique alors on a acronymisé le truc comme on adorait le faire dans les années surannées (non mais c’est vrai, vous avez remarqué tous les acronymes imaginés dans ces années ?). Et paf ça a donné Minitel. Donc je t’explique.
Entré officiellement très récemment en surannéité le Minitel fait partie de ces rares objets surannés par essence même, la formule savante « in antiquus est »¹ s’appliquant aux créations sorties avec un temps de retard qu’elles ne pourront jamais vraiment rattraper (Bi-bop, V2000, Mini Disc, Bx, Fuego, etc.). Porteurs d’une vision dépassée d’entrée de jeu mais poussés par un mode de décision kafkaïen pérorant et incapable de se remettre en cause, ces pauvres objets « in antiquus est » naissent et demeurent surannés, c’est comme ça². Ainsi en fut-il du Minitel.
Le premier arrive dans cinquante cinq foyers de Saint-Malo en 1980. C’est un peu sa tournée en province pour caler ses répliques et ses effets lumière. À l’époque ce n’est qu’un annuaire téléphonique et l’on peut être certain que ces quelques familles Malouines furent enchantées de pouvoir ainsi accéder aux renseignements et apprendre médusées que la famille B. de Marseille était au 63-21-49 alors que les G. de Strasbourg avaient un répondeur qui se déclenchait si on les sonnait au 60-71-12. Devant l’insondable succès de l’expérience on étendit l’expérience en zone urbaine dense avec Versailles dès l’automne suivant. Les banques, la SNCF et d’autres services grand public étaient désormais accessibles par le médium numérique, c’était magique. Et comme il n’est de véritable innovation technologique digne de ce nom que quand la bagatelle s’y met, en 1984, avec le 3615, le Minitel se teinta-t-il de rose.
3615 Ulla, 3615 Coquine, 3615 JMQ, firent exploser les factures téléphoniques (ça coûtait un bras le Minitel) des frustrés, des timides, des libidineux honteux, introduisant le stupre et la luxure dans les sages foyers où jusqu’alors se cachait plus classiquement sous l’oreiller un numéro de Lui. Il n’y avait pourtant pas de quoi casser trois pattes à un canard à échanger des promesses pygocoles en noir et blanc et typographie bitmap 8 bits, mais l’homme est ainsi fait que trois mots justement susurrés vont pouvoir le combler.
Minitel ne vit pas arriver Internet comme le prédateur qui allait le bouffer (le terme Uberiser n’existait pas encore). Il essaya même en 2000 d’apprivoiser la bête avec i-Minitel pour accéder au Minitel par Internet, sophistication suprême du vice ou aveugle acharnement thérapeutique nul ne le sait plus aujourd’hui.
En 2012 Minitel raccrocha pour toujours, fatigué qu’il était de devoir vivre dans une époque qui n’était pas la sienne. On l’aperçoit parfois traînant sur un trottoir, vautré entre deux poubelles, humilié au milieu des flaques d’urine canine, l’écran cassé ou le clavier jauni. Je crois bien qu’il s’en fiche et qu’il se laisse mourir, il ne croit plus en rien.