[mòr o vaS] (meuh. POLIC.)
Certes j’étais un enfant de la ville et en dehors du Luco où je chevauchais poneys sauvages et ânes têtus je ne croisais guère d’animaux, mais j’avais à l’occasion de séjours répétés dans les belles campagnes de nos régions de France pu admirer de paisibles bovidés domestiques à cornes à plus d’une reprise.Mieux encore, il m’était arrivé d’accompagner un paysan du coin comme il reconduisait Marguerite, Blanche, Geneviève et toutes les autres jusqu’à l’étable d’où je revenais avec une boîte à lait emplie d’un ou deux litres tout chauds de leur travail.
Les braves et imposantes ruminantes ne m’avaient jamais parues agressives aussi lorsque je croisais pour la première fois un appel à leur éradication j’en fus pour le moins contrarié.
Je crois bien que c’était dans une toujours cocasse aventure des Pieds Nickelés. Les lascars avaient fait le pari d’écrire bien gros sur un mur sur lequel il était pourtant indiqué que cela était interdit sous peine d’amende, mort aux vaches.
J’étais choqué.
Croquignol, Filochard et Ribouldingue qui jusqu’alors emportaient toute ma sympathie souhaitaient occire Marguerite et consœurs. Mais pourquoi me questionnais-je. Et de toute évidence la maréchaussée aussi puisqu’elle les pourchassait matraque au clair afin de leur admonester un sévère rappel à la loi.
“Dans mort aux vaches la vache n’est pas une vache, dans morts aux cons les cons en sont bien.”
Je ne trouvais nulle explication à ce violent mort aux vaches (et n’en demandais point car à six ou sept ans on le sent bien, lire les Pieds Nickelés n’est pas vraiment permis) et plongeait dans un sommeil perturbé pour un très long moment.
La fréquentation naïve quelques années plus tard de camarades se revendiquant au gré des saisons du mouvement punk, de la mouvance anarchiste et autres folkloriques et éphémères associations à but bordélique me permit de découvrir les Clash, les Sex Pistols et le sens de mort aux vaches. J’étais heureux : personne n’en voulait à ce placide mammifère herbivore puisque la vindicte ciblait les forces de l’ordre. Dix ans pour comprendre une expression tordue c’est long.
J’attendrai encore plus longtemps pour en connaître l’origine tourmentée elle aussi, fondée sur une lecture phonétique de l’allemand « Wache » qui marquait les postes de garde des occupants de l’Alsace-Lorraine à la fin du XIXᵉ siècle.
🎼🎶Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine / Et malgré vous nous resterons Français / Vous avez pu germaniser la plaine / 🎶Mais notre cœur vous ne l’aurez jamais !🎶 nasillaient dès 1871 Mlle Chrétienno et Gauthier (chanteurs que l’on classera en has been plutôt qu’en surannés) sur ces paroles de Gaston Villemer et de Henri Nazet dont je m’étonne franchement qu’elles ne contiennent aucun mort aux vaches; un manque de rime peut-être.
Bourrache, cache-cache, bâche : moyen. Antislash : inexistant à l’époque. Smash, squash : trop sportif. C’est donc bien ça, il n’y avait pas de rime disponible.
Mes camarades à crête, épingles à nourrice dans le nez et rat sur l’épaule étant pour la plupart devenus notaires, dentistes, chefs d’entreprises, publicitaires, enfin notables, m’est avis qu’ils n’ont plus rien contre Marguerite et que mort aux vaches est désormais suranné. Affaire classée.
NB : cette chronique n’était donc adressée qu’à l’enfant trop longtemps ignorant des mots de la révolte que je fus. Oui, des fois j’écris juste pour moi.