
Fig. A. Idée de génie.
[nø pa avwaʁ ɛ̃vɑ̃t la pudʁ] (loc. con. BOUM !)
Dans la vaste panoplie des expressions servant à évoquer les carencés du ciboulot, ne pas avoir inventé la poudre occupe une place de choix.
Plus élégante (et surtout moins ménagère) qu’être con comme un balai, moins administrative qu’avoir un neurone en RTT, elle insinue avec malice que l’intéressé n’a pas eu de contribution majeure au Progrès et qu’il n’est ce faisant pas détenteur remarquable de ce qui meut les avancées humaines : l’intelligence.
La poudre dont il est question est bien entendu celle à canon – celle qui fit trembler les champs de bataille, sonner le tocsin et avancer la science militaire à pas de géant, et non celle que de piètres malins se fourguent dans le pif pour se sentir brillants. Son invention, attribuée tantôt aux Chinois, tantôt à quelque moine faussement distrait, marque un tournant dans l’histoire humaine : celui où la pensée se fait explosive.
Dire de quelqu’un qu’il n’a pas inventé la poudre, c’est donc suggérer qu’il serait bien en peine de trouver une idée fulgurante, de faire jaillir l’étincelle de génie. L’expression vise l’esprit plat, le cerveau tranquille, le raisonnement au régime lent. C’est un constat d’échec intellectuel servi tiède et enveloppé d’un sourire.
On la réserve aux doux benêts, aux esprits brouillons, à ceux qui vous regardent avec des yeux de cabillaud quand on leur demande la capitale de la Corrèze ou le mode d’emploi d’un grille-pain. Alors forcément, ne pas l’avoir inventée, c’est avoir raté une marche importante dans l’évolution de l’intellect. Cela revient à dire que l’on manque d’éclairs de lucidité, que l’on serait bien en peine d’embraser quoi que ce soit — fût-ce une idée. L’esprit y est lent, l’allumette humide, la cervelle peu explosive. Bref, on parle d’un individu qui, s’il avait été contemporain de l’alchimiste, se serait plutôt contenté de brasser du sable.
Certains affirment même que celui qui n’a pas inventé la poudre a souvent fait sauter la soupape sans jamais allumer la mèche.
L’expression suggère sans accuser
Mais l’expression, comme souvent, ne dit pas tout. Elle suggère sans accuser. Elle s’emploie avec un haussement d’épaules plus qu’avec un coup de massue.
On pourra ainsi glisser à propos d’un quelconque lunaire : « Ah ben lui… il n’a pas inventé la poudre », sur le ton de la résignation amusée. Car derrière l’échec de la pyrotechnie mentale se cache parfois un être attendrissant, pataud mais sincère, incapable de calcul ou de manigance. Un type qui ne fera pas de mal à une mouche, pas plus qu’à un schéma logique.
La startupe nation qui promeut l’invention à tout crin – surtout quand elle complique un truc simple et le transforme en intelligence électronique – n’a que faire d’un tel déconnecté. Rien à tirer pour elle de ne pas avoir inventé la poudre.
Hors d’ici expression dangereuse. En modernité on n’aime pas l’odeur du salpêtre et le souffle de la mitraille.