[ne pa avwar tut lé tas dâ le vèseljé] (loc. péjor. FOL.)
L‘IDÉE DE PARAÎTRE comme appréciable en exposant sa vaisselle émerge sous le règne de Louis XVI. Le style du même nom (qui commence vers 1774) produit alors nombre de vaisseliers dont la fonction d’ordonnancement des tasses et des assiettes ravit toute bonne maîtresse de maison.
Qui peut poser sous le regard de ses hôtes une service de table accompli l’est nécessairement aussi dans sa vie.
C’est donc par une opposition subtile vraisemblablement poussée par le petit personnel toujours prompt à faire passer pour dingo madame la Marquise, que se fabrique ne pas avoir toutes les tasses dans le vaisseliers en guise de dénigrement de capacités cognitives.
Qui n’a pas toutes les tasses dans le vaisseliers – parce que certaines sont ébréchées par exemple – est de fait incapable de prouver son appartenance au beau monde et conséquemment la possession de toutes ses facultés. Le raccourci est osé, soit, mais il est ainsi pris pour faire de ne pas avoir toutes les tasses dans le vaisseliers une marque, au choix, de la folie ou de la bêtise.
Un dénigrement des capacités cognitives
Bonheur-du-jour, fauteuil à dossier en médaillon, guéridon jeu de bouillotte et meuble vitrine Louis XVI s’épanouissant dans toutes les maisonnées, ne pas avoir toutes les tasses dans le vaisselier connaît une fulgurante ascension que la soudaine fin du régime écornera à peine.
Le 21 janvier 1793, à dix heures vingt-deux, bien que perdant la tête pour de bon, Louis Capet n’emporte pas avec lui ne pas avoir toutes les tasses dans le vaisselier.
Plus encore, la période qui suivra au cours de laquelle foldingos, siphonnés et maniaques s’en donneront à cœur joie, constituera une véritable promotion pour l’expression.
L’usage semblait bien parti pour l’éternité tant les quelques siècles qui mèneront en modernité ne manqueront pas d’illuminés et de porteurs d’élucubrations.
Les querelleurs pointent l’industrie limougeaude de la porcelaine comme coupable de l’abandon du goût français pour la vaisselle suite à de malheureux choix esthétiques¹; d’autres confient à l’émergence de l’idée consumériste du jetable et à son application idoine à la vaisselle, la chute en désuétude du vaisselier (qui exposerait des assiettes en carton, des verres et des couverts en plastique dans son salon ?).
Ces deux raisons majeures, auxquelles ont pourra ajouter une passion moderne pour la restauration rapide avec les doigts, sont en effet responsables de la fin de ne pas avoir toutes les tasses dans le vaisselier.
Malgré le soutien remarquable de l’ExxonMobil Corporation qui poussera des dizaines de milliers d’amoureux de belle vaisselle à collectionner les tasses Mobil à partir de 1972, ne pas avoir toutes les tasses dans le vaisselier glissera lentement vers la zone des expressions surannées.
Elle retrouvera avoir une araignée au plafond, habiter aux Petites-Maisons, ne pas avoir la lumière à tous les étages, dans cette nef des fous qui ne manque jamais de bagou.
Quelques nostalgiques quêtent bien encore aujourd’hui une tasse à pétales bleus manquant à leur trousseau, mais ceci est une autre histoire.
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