[ne pa ètre rãdy a lòS] (loc. verb. DISTAN.)
« Ville d’art et d’histoire, classée parmi les Plus Beaux Détours de France, Loches possède une étonnante richesse patrimoniale qui fait d’elle une cité médiévale d’exception au cœur des Châteaux de la Loire bla-bla-bla, bla-bla-bla » nous serine l’édile¹, en bon VRP de sa localité.
L’affable maire serait-il sans savoir que la réputation nationale de sa ville doit tout autant à ses remparts du XIIᵉ siècle et à son donjon roman qu’à l’expression complète ne pas être rendu à Loches ?
Qui s’y est précisément rendu, sait que Loches est reliée à Tours par la fameuse route départementale 943 (dite D943 chez les routiers sympas), ancienne route nationale 143 déclassée en 2006, ce qui est au demeurant une toute autre histoire. C’est cependant à l’Histoire, et à la grande, que l’on doit ne pas être rendu à Loches.
Conséquence de l’armistice de Rethondes du 22 juin 1940, la ligne de démarcation coupe la France en deux et, au passage, la fameuse RN143 dite aussi route de Loches. Au nord, à Tours, la zone occupée, au sud, à Loches, la zone libre. Entre les deux les guérites et barrières hérissées de panneaux à l’écriture gothique et leurs gardes vert-de-gris rendant la traversée compliquée : on n’est donc pas rendu à Loches quand on quitte Tours par la nationale 143.
Malgré eux, l’occupant belliqueux et ses féroces soldats mugissant dans nos campagnes viennent de permettre l’existence de ne pas être rendu à Loches, expression qui éloigne un peu plus un objectif peu évident et qui annonce une galère à venir. Même muni d’un ausweis für den kleinen Grenzverkehr que l’on va chercher à la feldkommandantur ou à la kreiskommandantur, on peut dire qu’on n’est pas rendu à Loches. Car l’envahisseur est tatillon avec les choses de l’administration et il fait en sorte à chaque instant que l’on ne soit pas rendu à Loches facilement.
Exode des réfugiés de guerre aidant, ne pas être rendu à Loches se diffusera bien au-delà de la route nationale 143, mais en langue française uniquement².
Le 18 août 1944, Harry E. Alexander et une douzaine d’autres soldats américains posent le pied place Choiseul, à Tours, et annoncent l’arrivée prochaine des troupes libératrices. Les barbares ne toucheront plus à Loches : le 2 septembre la ville est libérée, un jour après sa voisine tourangelle.
Dès le 3 septembre 1944, en Jeep, en char Sherman M4 ou en traction peinte FFI, on circule sans contrainte sur la RN143 : on peut dorénavant se rendre à Loches en toute tranquillité.
Ne pas être rendu à Loches ne filera pas tout de suite en surannéité, certes, mais les faits démontrant au fil des ans qu’on est désormais facilement rendu à Loches, notamment grâce à la ligne de chemin de fer n°594 000 de Joué-lès-Tours à Châteauroux, l’expression se muera en simple ne pas être rendu.
Ainsi abrégée elle abandonnera de sa superbe et deviendra surannée, Loches ne perdant pas pour autant ses atouts séduisants.
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