[ne pa mâZé de pê] (loc. verb. PANEM)
Aucune autre langue que le français n’aurait pu créer l’expression étudiée en ces lignes, aucun autre pays ne consommant autant de pain que celui du fromage et du vin¹.
En cette contrée le boulanger est le roi du village, non parce qu’il se lève tôt et que l’avenir lui appartient, mais bel et bien parce qu’il nourrit le petit peuple des affamés qui n’hésitera pas à se révolter s’il ne peut casser la croûte.
Selon les historiens les plus sérieux, c’est le 5 ou 6 octobre 1789 que naît ne pas manger de pain. Marie-Antoinette, reine de France, contemplant ledit peuple venu quémander sa pitance sous les fenêtres de son château de Versailles, balance « S’ils n’ont pas de pain qu’ils mangent de la brioche, ça ne mange pas de pain tout de même » et non uniquement « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche » comme l’ont rapporté trop souvent d’approximatifs savants travestissant la vérité.
« S’ils n’ont pas de pain qu’ils mangent de la brioche, ça ne mange pas de pain tout de même »
Ça ne mange pas de pain pour marquer que ça ne coûte rien même si ça n’a aucun intérêt, débute sa carrière sur un ton de condescendance qui la suivra tout au long de sa vie. Quatre ans plus tard celle de Madame Veto cessera brusquement n’emportant pas pour autant avec elle ne pas manger de pain.
Pendant plus de deux siècles qui suivront l’étêtement royal, ne pas manger de pain va transcrire l’insignifiance d’une parole ou d’un geste. Un paradoxe énorme puisque lorsqu’on aborde la miche c’est de raison d’État qu’il est véritablement question ! Ne pas manger de pain va en manger en quelque sorte.
En effet, le 26 brumaire de l’an II, un décret de la Convention crée le Pain Égalité, que tous les boulangers sont tenus de cuire sous peine d’incarcération : nul ne peut plus prétendre que ça ne mange pas de pain de pétrir un pain pour le riche et un autre pour le pauvre, sinon c’est direction Bastille (sans passer par République).
Soixante ans plus tard, sous Napoléon III, on réglemente encore en fixant la taille du pain à quarante centimètres et son poids à trois cents grammes. Et c’est toujours la loi qui définit les quatre vingt centimètres et deux cent cinquante grammes de la baguette. Quand on vous dit qu’on ne badine pas ici bas avec la question boulangère.
La soudaine intolérance au gluten de révolutionnaires modernes désirant eux aussi manger leur pain quotidien changea le destin de ne pas manger de pain. L’expression quitta son registre figuré pour devenir descriptive.
Désormais ne pas manger de pain signifie ne pas manger de pain. Certes ça ne mange pas de pain mais c’est tout de même dommage d’envoyer en surannéité pour quelques allergiques qui après tout, n’ont qu’à manger de la brioche.