
Fig. A. Plat du jour.
[nø pa mɑ̃ʒe salad de aʁtiʃo avɛk flœʁ vjolɛt a la gʁɛn sezam] (SIMPL. PLAT.)
Le suranné aime goûter les choses simples. D’autres, plus modernes, s’égarent dans des compositions hasardeuses où l’assiette devient un champ d’expérimentation douteux, où le goût se dilue dans des alliances improbables et où le bon sens culinaire est relégué à l’arrière-cuisine des ringards.
Ne pas manger des salades d’artichaut avec des fleurs de violettes à la graine de sésame, c’est refuser ces fadaises. C’est affirmer haut et fort son attachement à une cuisine robuste, charpentée, qui tient au corps et qui fait honneur aux fondamentaux de la gastronomie terrienne. Ici on n’est pas à Passy, on mange !
Mais il ne s’agit pas seulement de préférences côté mangeaille. Ce refus du chichiteux culinaire est avant tout une posture philosophique, un cri du cœur contre le sophistiqué factice, un bras d’honneur à la bistronomie Instagrammable où l’on sale et poivre avec le geste auguste du semeur et où chaque assiette ressemble à un tableau de maître qu’on n’osera plus toucher.
Celui qui ne mange pas des salades d’artichaut avec des fleurs de violettes à la graine de sésame est un homme du terroir, un vrai. Il méprise le filet de bœuf servi en carpaccio diaphane, le pain sans gluten issu d’une farine qui n’a jamais vu un champ de blé, le plat déstructuré d’un chef qui s’est emmêlé les pinceaux en cuisine (et qui facture ses élucubrations à prix d’or).
Il sait que le pâté a besoin de croûte, que le fromage appelle du pain, que le vin ne se boit pas dans des fioles et qu’un dessert doit contenir autre chose qu’une larme d’agave et trois copeaux de chocolat bio équitable et durable. Il sait aussi que la salade est une chose noble mais qu’elle n’a rien à faire déguisée en bouquet comestible saupoudré d’aromates sortis d’un alambic.
L’intransigeance du bon vivant
Ne pas manger des salades d’artichaut avec des fleurs de violettes à la graine de sésame, c’est donc bien plus qu’une simple affaire de goût : c’est une déclaration d’identité, un refus du maniérisme, un défiance envers les modes éphémères qui prétendent réinventer ce qui n’a pas besoin de l’être. C’est dire non aux assiettes pensées pour être jolies plutôt que nourrissantes, c’est résister aux tendances qui transforment la cuisine en laboratoire d’alchimistes en quête de molécules prétendument sublimes mais qui n’approcheront jamais le Grand Œuvre.
En somme c’est aimer la bonne chère, affirmer que le bonheur se trouve dans une entrecôte saignante plutôt que dans un exotique ceviche réinterprété.
C’est aussi assumer d’avoir encore un peu de bon goût. Enfin c’était. Car on n’utilise plus ne pas manger des salades d’artichaut avec des fleurs de violettes à la graine de sésame.